Tous les articles par Carole Vercheyre-Grard

Me Carole VERCHEYRE-GRARD est titulaire d’un DEA de droit des affaires et droit économique de l’université Paris II (Assas) de 1995. Elle possède une double compétence en droit des affaires et droit du travail. Sa connaissance du milieu judiciaire, lui permet une approche pragmatique des contentieux devant les Tribunaux de Commerce et le Conseil de Prud’hommes.

HARCELEMENT MORAL ou La Croisade de la Cour de Cassation

  • (mis à jour le 24/07/12)

La Cour de Cassation, chambre sociale, en ce premier trimestre 2011 s’attaque à un problème de santé publique : le harcèlement moral. 

Selon l’article L. 1152-1 du Code du travail , « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». 

Paradoxalement depuis que cette disposition est apparue dans le code du travail par la loi 17 janvier 2002 et alors que, « la violence au travail est un phénomène préoccupant partout dans le monde et en forte progression  » (wikipedia), les juridictions de première instance se sont montrées de moins en moins favorables à accueillir les demandes croissantes des salariés. 

Les conseillers prud’homaux et même les conseillers de la Cour d’Appel ayant beaucoup de difficultés à faire la différence entre les salariés harcelés et ceux qui le ne sont pas, exigeaient du salarié des preuves de son harcèlement et du lien avec son état de santé souvent très difficiles à réunir. 

Cela aboutissait à de nombreux rejets des demandes des salariés par les juridictions, alors que les autorités sanitaires et les médias confirmaient la réalité du harcèlement moral au travail. 

La Cour de Cassation, consciente que cette situation décourageait les salariés victimes de harcèlement moral et que les juridictions de fond étaient incapables de motiver leurs décisions même lorsqu’elles avaient l’intime conviction de l’existence d’un harcèlement, a redéfini la charge de la preuve de chacun par de nombreuses décisions de ce premier trimestre 2011. 

Elle pose le principe suivant : 

« dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement «  

Cour de cassation chambre sociale Audience publique du 12 janvier 2011 N° de pourvoi: 08-45280 Publié au bulletin: 

Cour de cassation chambre sociale Audience publique du 6 janvier 2011 N° de pourvoi: 08-43279 : 

Cour de cassation chambre sociale Audience publique du 25 janvier 2011 N° de pourvoi: 09-42766 Publié au bulletin 

Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 4 juillet 2012 N° de pourvoi: 11-17986 Non publié au bulletin Cassation 

Il ressort de ces décisions 

–>que le salarié doit simplement établir la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement 

— >que l’employeur doit rapporter la preuve par des éléments objectifs que ces faits ne constituent pas du harcèlement 

De plus, la Cour De Cassation a précisé que l’employeur répond des agissements de l’ensemble de ses salariés mais également des tiers qui interviennent dans la relation de travail. 

En effet , l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment en matière de harcèlement moral et que l’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité ; il doit également répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés 

Cour de cassation chambre sociale Audience publique du 1 mars 2011 N° de pourvoi: 09-69616 Publié au bulletin 

Enfin la Cour de Cassation a entendu préciser qu’il importe peu que les faits de harcèlement soient postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 17 janvier 2002 pour qu’ils soient sanctionnables. 

Il faut retenir que 

« le salarié était en droit d’obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement, pour les faits antérieurs à la loi du 17 janvier 2002, sur le fondement de l’article 1147 du code civil «  

Cour de cassation chambre sociale Audience publique du 30 mars 2011 N° de pourvoi: 09-41583 Publié au bulletin 

Certains critiqueront sans doute ces décisions de la Cour de Cassation qu’ils jugeront trop protectrices du salarié. 

Pas moi. 

C’est toujours une belle et noble croisade, celle qui a pour dessein de protégerla dignité de l’Homme. 

Convocation à l’entretien préalable par exploit d’huissier

  • (mis à jour le 08/04/11)

L’article L. 1232-2 du code du travail prévoit que la convocation à l’entretien préalable au licenciement, peut être faite : 

– par l’envoi de la lettre recommandée avec demande d’avis de réception 

– par la remise en main propre contre décharge 

Mais il faut rappeler qu’il ne s’agit pas d’une règle de forme sanctionnée à peine de nullité de la procédure. 

La jurisprudence a déjà été amenée à de nombreuses reprises à rappeler que le mode de convocation à l’entretien préalable au licenciement n’est qu’un moyen légal de prévenir toute contestation sur la date de la convocation. 

Dès lors la Cour de Cassation valide les modes de convocation non prévus par le code du travail mais qui permettent de connaitre avec certitude la date de la convocation. 

La Cour de Cassation a déjà validé une convocation à l’entretien préalable au licenciement par le système de transport rapide de courrier dit « Chronopost ». 

Elle vient de valider la remise par voie d’huissier de justice de ladite convocation. (Cour de cassation chambre sociale 30 mars 2011 N° de pourvoi: 09-71412

A mon sens, cette dernière solution doit tout de même rester une exception et être justifiée par des circonstances exceptionnelles. 

 

Violation de la clause de non concurrence même ponctuelle = perte de la contrepartie financière

  • (mis à jour le 08/04/11)

La Cour de Cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 30 mars 2011 N° de pourvoi: 09-68986 rappelle : 

 » Un salarié ne peut prétendre percevoir la contrepartie de la clause de non-concurrence dès lors qu’il est établi qu’il a violé cette clause. » 

Dès la première infraction constatée et quelles qu’en soient les circonstances, le salarié perd tous les droits issus de la clause. 

Une activité même ponctuelle ou de faible importance exercée par le salairé postérieurement à la rupture de son contrat de travail en infraction avec sa clause de non-concurrence, le prive de la contrepartie financière de la clause de non concurrence. 

Absence totale de résultat : faute du salarié ou de l’employeur !

Mis à jour 1er juin 2018

Lorsqu’un commercial présente un carnet de commandes vide et n’a pas réalisé la moindre vente pendant plusieurs mois, cela ne suffit pas pour que son licenciement soit justifié. 

Encore faut-il que l’employeur n’ait pas rendu impossible l’accomplissement des fonctions du salarié, soit par des résultats totalement inatteignables soit par l’absence de moyens. 

Ainsi, avant de valider un licenciement pour non atteinte des objectifs , la Cour de Cassation contrôle en effet : 

 si les objectifs étaient réalistes 

– si le salarié était en faute de ne pas les avoir atteints 

– si l’employeur n’avait pas imposé une privation de moyens à son salarié rendant impossible la réalisation de sa mission 

(Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 23 mars 2011 N° de pourvoi: 09-43294 Non publié au bulletin Cassation) 

Contrats de travail successifs et période d’essai

Sauf usages ou dispositions conventionnelles prévoyant des durées moindres, la durée maximale de la période d’essai d’un contrat à durée déterminée est fixée en fonction de la durée du contrat.

–> Ainsi lorsque le CDD est d’une durée inférieure ou égale à 6 mois,

la période d’essai sera d’un jour par semaine, dans la limite de 2 semaines

–>lorsque le CDD est d’une durée supérieure à 6 mois

la période d’essai sera d’un mois,

Le renouvellement de CDD sur les mêmes fonctions rend impossible la fixation d’une nouvelle période d’essai.

De plus, si le CDD est suivi d’un CDI, en application de l’article L1243-11 du code du travail : 

« – Lorsque la relation contractuelle de travail se poursuit après l’échéance du terme du contrat à durée déterminée, celui-ci devient un contrat à durée indéterminée.

Le salarié conserve l’ancienneté qu’il avait acquise au terme du contrat de travail à durée déterminée.

La durée du contrat de travail à durée déterminée est déduite de la période d’essai éventuellement prévue dans le nouveau contrat de travail.« 

La Cour de Cassation est très vigilante sur les périodes d’essais irrégulières des CDI qui succèdent au CDD sur les mêmes fonctions.

Elle vient de le confirmer par arrêt de sa chambre sociale, 23 mars 2011 ; N° de pourvoi: 09-69349 en ces termes :

« Attendu cependant qu’en présence de contrats de travail successifs conclus entre les mêmes parties, la période d’ essai stipulée dans le dernier contrat n’est licite qu’à la condition que ce contrat ait été conclu pour pourvoir un emploi différent de celui objet des précédents contrats ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait la salariée, alors qu’elle avait été engagée, par contrats à durée déterminée successifs comme agent administratif puis, par contrat à durée indéterminée comme agent d’accueil, elle n’avait pas, en réalité, exercé les mêmes fonctions, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

A retenir :

En cas de successions de contrats, 

Il ne suffit pas de changer l’intitulé du poste octroyé au salarié pour valider une période d’essai irrégulière ni même de dénommer faussement la période d’essai période probatoire.

Précisions sur le mode de calcul de la Prime de Vacances ( convention collective SYNTEC)

Mise à jour 21/08/2023

L’article 7.3 (ancien article 31) de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseil, dite SYNTEC, prévoit que l’ensemble des salariés bénéficient d’une prime de vacances d’un montant au moins égal, à 10 % de la masse globale des indemnités de congés payés prévues par la convention collective de l’ensemble des salariés. 

Comment cette prime est-elle répartie entre les salariés? 

La commission nationale d’interprétation de la SYNTEC a laissé toute latitude aux entreprises pour préciser les modalités d’attribution et de répartition de la prime de vacances entre les salariés 

En l’absence de fixation des modalités générales d’attribution et de répartition de la prime en vigueur dans l’entreprise, il appartient au juge de fixer lui-même le montant de cette prime à une somme correspondant à son objet. 

Les juridictions de première instance fixent généralement cette prime à 1 % du salaire brut de l’intéressé, soit 10 % de l’indemnité de congés payés, qui correspond elle-même à 10 % de la rémunération perçue par le salarié

La Cour de Cassation en sa chambre sociale par décision du 23 mars 2011 N° de pourvoi: 09-66746 valide cette pratique des Cours d’Appel en ces termes  » la Cour d’Appel a exactement décidé de fixer elle-même le montant de la prime de vacances à une somme, correspondant à son objet, selon le mode de calcul qui lui est apparu le meilleur  » 

Notons cependant que la convention collective SYNTEC prévoit que « Toute prime ou gratification qui est versée en cours d’année, peut constituer cette prime de vacances, mais elle doit être versée entre le 1er mai et le 31 octobre. »

Notons qu’une prime de vacances payable annuellement ne peut donner lieu à un versement prorata temporis à un salarié ayant quitté l’entreprise avant la date normale de son paiement que si ce prorata résulte d’une disposition conventionnelle ou d’un usage. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 21 septembre 2017, 15-28.933, Publié au bulletin)

La prime de vacances peut également être remplacée sous certaines conditions par une prime de motivation.( Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 7 mars 2018, 16-18.167, Inédit)

CCE et CE = mêmes droits pour l’examen des comptes

Les comités d’établissement ( CE) ont les mêmes attributions que le comité central d’entreprise( CCE) quant à l’examen annuel de comptes prévu par l’article Article L2323-8 du code du travail 

En effet, dans les sociétés commerciales, l’employeur doit communiquer au comité central d’établissement et aux comités d’établissement avant leur présentation à l’assemblée générale des actionnaires ou à l’assemblée des associés, l’ensemble des documents transmis annuellement à ces assemblées ainsi que le rapport des commissaires aux comptes. 

La Cour de Cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 23 mars 2011 N° de pourvoi: 09-67512 vient d’indiquer que les deux entités CCE et CE ont la possibilité d’avoir recours l’une et l’autre à l’assistance d’un expert-comptable de leur choix (dont les honoraires sont à la charge de l’employeur) pour comprendre et étudier lesdits documents comptables 

La motivation de la Cour de Cassation est limpide et parfaitement justifiée en droit : 

« Mais attendu, d’abord, qu’aux termes de l’article L. 2327-15 du code du travail, les comités d’établissement ont les mêmes attributions que les comités d’entreprise dans la limite des pouvoirs confiés au chef d’établissement ; que la mise en place d’un tel comité suppose que cet établissement dispose d’une autonomie suffisante en matière de gestion du personnel et de conduite de l’activité économique de l’établissement ; 

Attendu, ensuite, qu’en application des articles L. 2325-35 et L. 2325-36 du code du travail, le droit du comité central d’entreprise d’être assisté pour l’examen annuel des comptes de l’entreprise dans les conditions prévues par l’article L. 2323-8 du code du travail, ne prive pas le comité d’établissement du droit d’être assisté par un expert-comptable chargé de lui fournir tous éléments d’ordre économique social et financier nécessaires à la compréhension des documents comptables de l’établissement, peu important que la comptabilité soit établie au niveau de l’entreprise «  

 

Bulletins de paie + versement de salaire = présomption de contrat de travail

La présomption simple de contrat de travail ou la théorie du contrat apparent 

Des bulletins de paie et des chèques même non honorés suffisent à prouver l’existence d’un contrat de travail. 

C’est à l’entreprise qui a émis des bulletins de paie et versé des sommes au salarié de rapporter la preuve de l’absence de réalité d’un contrat de travail. 

La Cour de Cassation considère qu’à défaut de preuve contraire, il existe un contrat de travail apparent. (Cour de cassation chambre sociale 

Audience publique du mercredi 23 mars 2011N° de pourvoi: 09-70416

Peu importe que la DUE ( déclaration unique d’embauche) n’existe pas et qu’aucun contrat de travail écrit ne soit établi. 

Cette solution est intéressante pour tous les salariés des entreprises en liquidation judiciaire dont les chèques remis par leur employeur ont été rejetés et qui ont la surprise de voir contesté leur existence par le liquidateur judiciaire ou les AGS. 

 

Le sort de la prime d’objectifs en cas de rupture du contrat de travail en cours d’année

La Cour de Cassation par décision en date 23 mars 2011 N° de pourvoi: 09-69127 rappelle que le salarié peut avoir droit au paiement d’une prime annuelle d’objectifs même si il a quitté l’entreprise avant le terme de l’exercice.

IMG_20140506_101304Dans les faits de l’espèce, l’employeur s’était engagé à régler aux salariés qui n’auraient pas atteint leurs objectifs une «rémunération variable garantie» au moins égale à celle de l’exercice précédent sans préciser que le versement de cette partie de rémunération était conditionnée à la présence des salariés dans l’entreprise à l’issue de l’exercice.

Le salarié, dont le contrat avait été rompu avant la fin de l’année a donc eu droit à une prime d’objectifs calculée prorata temporis.

Cette solution repose sur le fait que la prime sur objectifs constituait la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité de sorte qu’elle s’acquérait au fur et à mesure du temps.

Le salarié ne pouvait être privé d’un élément de sa rémunération auquel il pouvait prétendre au prorata de son temps de présence.

Attention cependant à bien interpréter cette décision, à mon sens, elle ne signifie pas que si les objectifs ne sont pas atteints au jour du départ du salarié, il faut envisager de réduire ceux-ci au prorata temporis et verser automatiquement une prime au salarié.

La rédaction de la clause fixant la prime sur objectifs est déterminante afin de fixer les droits des salariés au versement de la part variable de leur salaire.

Ainsi la Cour de Cassation a confirmé que lorsque la prime était expressement subordonnée à une condition de présence, la rupture du contrat de travail antérieure empêche le versement de la prime (Cour de cassation chambre sociale 30 mars 2011

N° de pourvoi: 09-42105 10-11488 Publié au bulletin )

De l’intérêt des mails pour prouver les heures supplémentaires !

  • (mis à jour le 22/01/15)

Les mails envoyés à différentes heures sont des moyens de preuve faciles à obtenir pour le salarié qui veut réclamer des heures supplémentaires. 

Quelle est la véritable force probante desdits mails? 

La Cour de Cassation confirme que les mails ou les courriels et/ les captures d’écrans sont des bons moyens pour étayer une demande d’heures supplémentaires. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 janvier 2015, 13-27.072, Inédit)

En effet,  les courriels et les captures d’écran produits par le salarié permettent de déterminer quelles  heures supplémentaires ont été réalisées par le salarié .

Etant observer que sur ces seuls éléments, l’employeur doit être en mesure de répondre sur le temps de travail réel du salarié en fournissant ses propres éléments,

Néanmoins, la Cour de Cassation apporte un bémol à sa jurisprudence très favorable aux salariés quant à la preuve des heures supplémentaires en limitant la portée desdits mails au regard du contenu du contrat de travail du salarié. 

La Cour de cassation, chambre sociale par arrêt du 22 mars 2011 N° de pourvoi: 09-43307 refuse de considérer que des mails adressés à certaines heures puissent prouver le temps de travail du salarié lorsque ce dernier avait été autorisé par son contrat de travail à modifier ses horaires. 

Elle conclut : « que la circonstance que le salarié ait envoyé des mails à 7 h 14 ou à 20 h n’était pas déterminante dans la mesure où il avait contractuellement la faculté de décaler ses horaires de présence, et relevé qu’il ne produisait aucun décompte précis établi au jour le jour de ses horaires de travail.  » 

Il est donc patent que les mails ne peuvent remplacer utilement un décompte d’heures !