Archives par mot-clé : vie privée

DROIT DU TRAVAIL : Liberté d’Expression et Divulgation à des tiers des informations confidentielles de l’entreprise

mise à jour 22 avril 2022

L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 rappelle que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». 

Il s’agit d’une liberté fondamentale qui ne peut être limitée qu’en cas d’abus. 

L’article 10- 2°de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 est venu précisé dans quels cas, la liberté d’expression peut être restreinte 

« L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » 

La Cour de cassation en sa chambre sociale 6 avril 2011 N° de pourvoi: 09-72520 nous donne un exemple pratique de l’application de ces textes en droit du travail dans une affaire où un salarié avait divulgué des informations confidentielles en dehors de l’entreprise : 

« Mais attendu que la cour d’appel relève que la démarche d’ordre privée entreprise par le salarié en faveur d’une personne réfugiée n’avait été possible qu’en divulguant à des tiers des informations confidentielles qu’il avait recueillies dans le cadre de ses fonctions et en agissant à l’insu de l’association qui l’employait tout en faisant état de sa qualité professionnelle ; qu’elle ajoute qu’il avait ce faisant outrepassé les limites des pouvoirs d’intervention de l’employeur, non habilité à prendre en charge les demandeurs d’asile après le rejet définitif de leur requête, que par ces seuls motifs, elle en a déduit à bon droit que les faits reprochés, qui constituaient des manquements graves à ses obligations professionnelles et ne relevaient pas de la liberté d’expression reconnue au salarié , justifiaient le licenciement intervenu ; que le moyen n’est pas fondé  » 

Cette solution s’applique également pour les partages sur Linkedin.

Dans un arrêt de 2022, la Cour de Cassation a dû traiter le cas d’un salarié qui avait publié des images sur son compte Linkedin .

La cour d’appel de Paris avait relevé que « les images publiées provenaient de documents internes qui n’étaient pas destinés à une publication sur un réseau social, et dont [le salarié] n’a pu avoir connaissance que dans l’exercice de ses fonctions ». Elle souligne aussi qu’il avait utilisé ces images « sans vérifier s’il pouvait le faire, au regard des règles de confidentialité internes auxquelles il était soumis. »

Pour les juges, le salarié a commis un « manquement avéré à son obligation de confidentialité et de respect du secret professionnel rappelée par la clause de son contrat de travail ». Ils valident son licenciement pour faute.

CA Paris du 23 février 2022, n° RG 19/07192 

Un fait de la vie personnelle occasionnant un trouble dans l’entreprise peut ne pas justifier un licenciement disciplinaire

  • (mis à jour le 09/05/11)

L’affaire de l’ancien directeur adjoint de Radio France Internationale. 

Cour de cassation 

chambre sociale 

Audience publique du mercredi 9 mars 2011 

N° de pourvoi: 09-42150 

En 2004, l’ancien directeur adjoint de RFI, lors de la promotion de son ouvrage :  » le mur de Sharon  » avait suscité une tempête médiatique mémorable. 

Les médias lui avaient imputé, entre autres, cette phrase  » Israël État raciste dans son fonctionnement » et quelques florilèges. 

Il a toujours nié avoir tenu lesdits propos et avait tenté de faire valoir son innocence en transférant au sein de RFI les mails de soutien qu’il recevait. 

RFI, ayant assez peu le goût du scandale, avait licencié son directeur adjoint le 9 décembre 2004 pour faute grave. 

La lettre de licenciement évoquait d’une part, des troubles engendrés par des messages personnels transférés par courrier électronique et par un article publié dans le journal Libération et, d’autre part, pour une faute grave au regard des réunions et propos tenus les 18, 20 et 21 octobre 2004, l’envoi d’un courriel le 21 octobre 2004 et la présence du salarié dans les locaux de la radio le 2 novembre 2004. 

La Cour d’Appel de Paris, le 6 mars 2009, avait jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse en fondant sa décision sur plusieurs points : 

  • La transmission par le salarié des messages de soutien reçus, au temps et lieu de son travail, sur le réseau électronique

interne de l’entreprise ne sauraient constituer un trouble objectif imputable au salarié. Cette notion étant réservée aux faits commis par un salarié dans sa vie personnelle, en dehors de sa sphère professionnelle 

– qu’au demeurant, le prétendu trouble consécutif à cette transmission n’est nullement caractérisé par la société RFI dans la lettre de licenciement et n’est pas davantage identifié ni démontré dans le cadre de la présente procédure ; 

  • – Il n’y a aucune certitude sur le fait que le salarié ait bien tenu les propos  » noyau de juifs communautaires  » qui lui sont imputés dans le Journal LIBERATION , « la paternité comme la portée des propos effectivement tenus par M. X… sont demeurées totalement indéfinies, au stade d’un débat polémique stérile et incertaine,« 

– et de surcroit la société RFI ne démontre pas l’existence d’une quelconque perturbation affectant le fonctionnement et l’activité de RFI ; 

  • La société RFI n’apportait aucune preuve des soit disant fautes graves dans la diffusion par le salarié le 21 octobre 2004, à l’intérieur de l’entreprise, du texte de sa réponse adressée à LIBERATION, en vertu de son droit de réponse, dans la présence du salarié dans les locaux de l’entreprise, ni dans ses propos tenus.

La Cour de Cassation en sa chambre sociale, par décision du 9 mars 2011 N° de pourvoi: 09-42150, confirme la position de la Cour d’Appel et ne distingue pas entre les faits invoqués. 

Elle constate que le licenciement est prononcé pour faute grave or « ‘un fait de la vie personnelle occasionnant un trouble dans l’entreprise ne peut justifier un licenciement disciplinaire » . 

En outre, dans sa décision du 9 mars 2011, la Cour de Cassation explique que les faits qualifiés de faute grave à savoir  » le reproche fait au salarié, comme constitutif d’une faute grave, d’avoir entrepris de relancer la polémique consécutive à la parution d’un article de presse rapportant des propos dont il contestait la teneur », n’était pas établi . 

C’est une position qu’elle avait déjà retenu dans une décision de la Chambre sociale du 25 octobre 2000 N° de pourvoi: 98-44022, dans laquelle elle avait jugé que les faits commis par un salarié qui ne sont pas en rapport avec son activité salariée ne peuvent constituer une faute et donc un licenciement disciplinaire

La Cour de cassation en sa chambre sociale en date du 14 septembre 2010 N° de pourvoi: 09-65675 a précisé que si, en principe, il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié, il en va autrement lorsque le comportement de celui-ci a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise . 

Encore faut-il prouver l’existence de ce trouble ! 

La Cour de Cassation en sa chambre sociale par arrêt du 28 avril 2011 N° de pourvoi: 09-67037 vient de confirmer que » si la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n’incombe pas particulièrement à l’une ou à l’autre partie, il appartient cependant à l’employeur, lorsqu’il allègue un trouble objectif causé à l’entreprise par un fait de la vie privée du salarié, d’établir la réalité de ce trouble. »