Tous les articles par Carole Vercheyre-Grard

Me Carole VERCHEYRE-GRARD est titulaire d’un DEA de droit des affaires et droit économique de l’université Paris II (Assas) de 1995. Elle possède une double compétence en droit des affaires et droit du travail. Sa connaissance du milieu judiciaire, lui permet une approche pragmatique des contentieux devant les Tribunaux de Commerce et le Conseil de Prud’hommes.

Forfait-jours : sans suivi effectif de la charge de travail, la convention devient inopposable.

L’effectivité d’une convention de forfait-jours ne repose pas uniquement sur son existence.

L’employeur doit impérativement assurer un suivi effectif de la charge de travail du salarié, faute de quoi la convention peut être privée d’effet.

Ce suivi est prévu dans les accords collectifs qui mettent en place le principe du forfait-jours.

Un exemple concret illustre cette exigence :

Dans un arrêt du 2 octobre 2024, la Cour de cassation a validé le dispositif du forfait-jours prévu par l’avenant n° 52 du 17 septembre 2015 à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 2 octobre 2024, 22-16.519, Publié au bulletin).

Cet avenant, contrairement à la version antérieure du texte, prévoyait des garanties jugées suffisantes pour assurer le respect d’une durée raisonnable de travail et des repos journaliers et hebdomadaires.

Toutefois, cette validation ne dispense pas l’employeur d’appliquer concrètement les prescriptions conventionnelles.

Quelles obligations pour l’employeur ?

Selon la convention collective applicable, le suivi de la charge de travail impose notamment :

  • Un entretien annuel obligatoire portant sur la charge et l’organisation du travail du salarié.
  • Un contrôle régulier via un document mensuel permettant d’identifier d’éventuelles anomalies (durées excessives, travail sans repos, etc.).
  • Un entretien correctif imposé dès lors que des difficultés en matière de temps de travail sont constatées.
  • La possibilité pour le salarié de demander un entretien à tout moment en cas de surcharge de travail.
  • Un bilan trois mois après un entretien d’alerte pour évaluer les mesures correctives mises en place.

Sans mise en œuvre effective de ces obligations, la convention de forfait-jours devient inopposable au salarié, qui peut alors prétendre au paiement d’heures supplémentaires.

L’absence de contrôle effectif peut avoir des conséquences financières importantes.

Bénéficier d’un PSE n’empêche jamais de contester en justice son licenciement

Parmi les idées reçues, l’une des plus tenaces est de croire qu’un salarié ayant bénéficié d’un PSE serait illégitime à agir en justice.

Parfois, l’employeur va jusqu’à insérer dans le PSE une clause conditionnant le versement d’indemnités à l’absence de recours en justice.

Pourtant cette pratique est illégale et préjudiciable au salarié.

–> illégal car une telle clause est nulle et porte atteinte à une liberté fondamentale, le droit d’agir en justice.

–> préjudiciable car elle crée une pression injustifiée sur les salariés, ce qui constitue un préjudice ouvrant droit à réparation.

La Cour de cassation est claire sur cette question dans une affaire où un employeur avait tenté d’imposer cette contrainte à ses salariés. (Cass. soc., 22 janvier 2025, n° 23-11033)

Pourtant l’employeur soutenait que la clause n’aurait pas été appliquée et n’aurait causé aucun préjudice.

La réponse de la Cour ?

Peu importe.

Son existence seule suffit à créer un préjudice indemnisable.

À retenir :

  • Un salarié peut toujours contester son licenciement, même s’il a perçu des indemnités du PSE.
  • Une clause qui vise à dissuader les salariés d’agir en justice est nulle et ouvre droit à des dommages et intérêts.
  • Le droit d’agir en justice est un principe fondamental : aucun accord dans le cadre d’un plan social ne peut y porter atteinte.

Un bémol cependant : lorsque les indemnités versées dans le cadre d’un PSE sont élevées, les juridictions prud’homales ont tendance à être moins généreuses sur le montant des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Non au harcèlement moral institutionnel

« Dégraisser » le personnel en le démotivant : des pratiques d’entreprise d’un autre temps

Réduire les effectifs n’est pas une simple question de chiffres ou d’économie.

Derrière ce langage froid et déshumanisant, il y a des vies, des familles, et une perte de compétences précieuses.

La Cour de cassation en a pleinement conscience et poursuit sa croisade pour éradiquer le harcèlement moral en entreprise.

Dans son arrêt du 21 janvier 2025 (Cass. crim. 21 janvier 2025, n° 22-87145 FSBR), la chambre criminelle de la Cour de cassation a sanctionné le harcèlement moral institutionnel, rappelant qu’aucune politique d’entreprise ne peut justifier la dégradation délibérée des conditions de travail des salariés.

Dans l’affaire France Télécom, des dirigeants ont été condamnés pour avoir sciemment mis en œuvre des stratégies managériales toxiques :

• Incitations forcées au départ

• Réorganisations anxiogènes

• Pression constante sur les équipes

Il n’est plus acceptable de maintenir de telles stratégies pour réduire les effectifs à tout prix, au mépris de la dignité humaine et de la santé des salariés.

Le message est limpide :

• Les choix stratégiques ne doivent jamais outrepasser le pouvoir de direction légitime.

• Les salariés ne sont pas des variables d’ajustement.

• Une politique « harcelante » engage la responsabilité pénale des dirigeants.

Il est urgent de promouvoir des pratiques managériales humaines et respectueuses. Parce qu’un climat de travail sain est non seulement un droit, mais aussi un levier de performance durable.

Les entreprises ne sont pas composées de machines qu’on huile ou allège au besoin.

Il est temps de remettre du sens dans nos décisions et du respect dans nos mots.

Parce qu’aucune organisation ne prospère en ignorant sa richesse humaine.

Prouver l’existence ou l’absence d’heures supplémentaires: le point sur la jurisprudence.

Les contentieux autour des heures supplémentaires restent au cœur des chroniques judiciaires, rappelant que la charge de la preuve n’incombe pas exclusivement au salarié. Le système repose sur une articulation équilibrée entre les obligations du salarié et celles de l’employeur. Voici ce qu’il faut savoir.

Le cadre juridique

L’article L.3171-4 du Code du travail stipule que :

« En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »

Ainsi, la preuve des heures supplémentaires repose sur un mécanisme équilibré :

  • Le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis pour que l’employeur puisse y répondre (Cass. soc. 31 mai 2006, n° 04-47376).
  • L’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, doit produire ses propres éléments (Cass. soc. 18 mars 2020, n° 18-10919 FPPBR).

Au final, le juge analyse les preuves des deux parties et peut ordonner des mesures d’instruction si nécessaire.

La jurisprudence en pratique

Une charge partagée

La Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 15 janvier 2025 (Cass. soc. 15 janvier 2025, n° 23-19046 FD) que la charge de la preuve est partagée. Le salarié doit fournir des éléments suffisamment précis à l’appui de sa demande. Il n’est pas tenu de prouver l’existence exacte des heures travaillées, mais doit fournir des preuves qui permettent à l’employeur de répondre utilement.

Illustration concrète

Dans une affaire récente :

  • Le salarié, embauché à temps partiel dans un restaurant, réclamait des heures supplémentaires en présentant des éléments comme des attestations de clients et la page Google du restaurant mentionnant les horaires d’ouverture.
  • L’employeur, de son côté, avait produit des témoignages indiquant des horaires différents, mais sans fournir de preuves matérielles comme des plannings ou des relevés d’heures.

La Cour de cassation a jugé que les éléments du salarié étaient suffisants pour permettre à l’employeur de répondre. En exigeant davantage, la cour d’appel avait à tort fait peser la charge de la preuve uniquement sur le salarié.

Points clés à retenir

  1. Une preuve à deux niveaux :
    • Le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis (établir une base).
    • L’employeur doit y répondre avec ses propres documents.
  2. Les preuves acceptées incluent :
    • Tableaux de décompte des heures, même établis unilatéralement par le salarié.
    • Attestations de clients, collègues ou tiers.
    • Emails, plannings, ou justificatifs de frais professionnels.
  3. Rôle du juge : Il évalue l’ensemble des preuves fournies et peut demander des mesures d’instruction.
  4. Prescription : Les litiges relatifs aux heures supplémentaires doivent respecter une prescription triennale.

En conclusion

Ces principes rappellent l’importance pour les employeurs de disposer d’outils fiables de suivi du temps de travail. De leur côté, les salariés doivent connaître leurs droits et présenter des preuves solides en cas de litige.

Travailler durant un arrêt maladie ou un congé maternité : ce que dit la loi et la jurisprudence récente

En tant qu’avocate en droit du travail, je suis régulièrement interrogée sur les droits des salariés pendant les périodes de suspension de leur contrat de travail, notamment lors d’un arrêt maladie ou d’un congé maternité.

La question est essentielle : que se passe-t-il lorsqu’un salarié est contraint de travailler durant ces périodes ?

Quelles sont les réparations possibles ?

Voici un décryptage à la lumière des principes juridiques et de la jurisprudence récente.


La suspension du contrat de travail : un principe fondamental

Le Code du travail et la sécurité sociale encadrent strictement les périodes de suspension du contrat de travail. Ces périodes, notamment celles correspondant à un arrêt maladie ou un congé maternité, impliquent que le salarié est dispensé de toute activité professionnelle :

  • Pendant un arrêt maladie : le salarié est placé dans une situation de repos afin de se rétablir. L’employeur ne peut ni solliciter ni tolérer une quelconque activité professionnelle.
  • Pendant un congé maternité : la loi interdit explicitement à l’employeur de faire travailler une salariée. Cette période est conçue pour protéger la santé de la mère et de l’enfant.

Ces protections visent à garantir que le salarié puisse pleinement se consacrer à sa santé ou à sa vie familiale. Cependant, dans la pratique, il arrive que des employeurs, consciemment ou non, sollicitent leurs salariés durant ces périodes.


Que dit la jurisprudence récente ?

La Cour de cassation, dans un arrêt du 2 octobre 2024, a réaffirmé des principes importants en la matière. Cet arrêt concernait une salariée contrainte de travailler pendant plusieurs arrêts maladie et son congé maternité.

Voici ce qu’il en ressort :

1⃣ Pas de rappel de salaire pour les heures travaillées
La salariée ne peut pas réclamer un paiement supplémentaire sous forme de rappel de salaire pour les heures effectuées. Pourquoi ? Parce qu’admettre un rappel de salaire reviendrait à régulariser une situation illégale et contraire aux prescriptions légales.

2⃣ Dommages et intérêts pour le préjudice subi
En revanche, le salarié a droit à des dommages et intérêts. La Cour a considéré que le fait de contraindre un salarié à travailler pendant la suspension de son contrat constitue une faute de l’employeur engageant sa responsabilité civile contractuelle. Ces dommages et intérêts visent à compenser le préjudice subi par le salarié.


Les enjeux pour les employeurs et les salariés

Pour les employeurs : vigilance accrue
Faire travailler un salarié durant un arrêt maladie ou un congé maternité constitue une infraction. Outre les dommages et intérêts qu’ils devront verser, les employeurs s’exposent également à des sanctions pénales dans certains cas, notamment en matière de congé maternité. Il est essentiel de respecter scrupuleusement les périodes de suspension des contrats de travail.

Pour les salariés : des recours à envisager
Si vous êtes contraint(e) de travailler durant ces périodes, sachez que vous avez des droits. Vous pouvez saisir le conseil de prud’hommes pour réclamer réparation du préjudice subi sous forme de dommages et intérêts. Cette démarche est d’autant plus importante que ces indemnités peuvent dépasser le montant des salaires qui auraient été dus.


Le salarié disponible en cas d’alerte est-il en astreinte ?

Un récent arrêt de la Cour de cassation, rendu le 4 décembre 2024 (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 décembre 2024, n°23-11.575, Inédit) apporte des éclairages précis sur la notion d’astreinte au travail. Cet arrêt répond à une question essentielle : un salarié, qui peut être contacté en cas de déclenchement d’alarme par l’entreprise, est-il systématiquement considéré comme étant en astreinte ?

Les faits de l’affaire

Dans cette affaire, un chef de sécurité revendiquait une indemnisation pour des périodes qu’il estimait être des astreintes. En cas de déclenchement d’alerte, il était susceptible de recevoir des appels de la société de télésurveillance. Toutefois, il n’était pas obligé de répondre systématiquement à ces appels ni de se déplacer.
Alors que la Cour d’appel avait donné raison au salarié, la Cour de cassation a infirmé cette décision, rappelant des principes fondamentaux.

La décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation a souligné que, pour qu’une période soit qualifiée d’astreinte, il ne suffit pas que le salarié puisse être contacté. Encore faut-il qu’il soit effectivement tenu de rester à la disposition de l’employeur et prêt à intervenir, limitant ainsi sa liberté de vaquer à ses occupations personnelles.

La notion d’astreinte dans le Code du travail

**Article L3121-9** (Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 – art. 8) :
  Une période d’astreinte s’entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise. La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif. La période d’astreinte fait l’objet d’une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos. Les salariés concernés par des périodes d’astreinte sont informés de leur programmation individuelle dans un délai raisonnable.

**Article L3121-10** (Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 – art. 8) :
  Exception faite de la durée d’intervention, la période d’astreinte est prise en compte pour le calcul de la durée minimale de repos quotidien prévue à l’article L3131-1 et des durées de repos hebdomadaire prévues aux articles L3132-2 et L3164-2.

Les régimes d’indemnisation des astreintes

Le Code du travail prévoit que les périodes d’astreinte ne sont pas considérées comme du temps de travail effectif. Toutefois, elles doivent donner lieu à une compensation, soit financière, soit sous forme de repos. Ces conditions sont souvent précisées dans les conventions collectives ou les accords d’entreprise.
Les temps d’intervention réalisés durant une astreinte, y compris les déplacements, sont quant à eux considérés comme du travail effectif et doivent être rémunérés en conséquence (article L3121-12).

Une frontière parfois floue

Cette décision met en lumière une problématique courante pour de nombreux salariés et employeurs : la distinction entre disponibilité occasionnelle et astreinte imposant une réelle obligation. La frontière reste parfois difficile à délimiter, d’où l’importance des jurisprudences comme celle-ci pour clarifier les règles.

Conclusion

Employeurs et salariés doivent se montrer vigilants quant à la qualification des périodes de disponibilité. Cette affaire rappelle que la simple possibilité d’être contacté ne suffit pas à caractériser une astreinte. Les obligations imposées au salarié doivent être claires et limiter réellement sa liberté personnelle pour ouvrir droit à une compensation.

Témoignages anonymisés : une avancée pour protéger les témoins et révéler les risques en entreprise


Dans le monde du travail, prouver un harcèlement ou un risque grave peut sembler être un véritable défi.

La peur des représailles freine souvent les salariés qui, bien que témoins de comportements répréhensibles ou de situations dangereuses, hésitent à s’exprimer.

Cependant, des solutions légales existent pour contourner ces obstacles, comme l’a récemment confirmé la Cour de cassation (Cass. soc. 11 décembre 2024).

La Cour de cassation a rappelé que :

Cette reconnaissance des témoignages anonymisés est une avancée significative pour protéger les salariés qui dénoncent des comportements abusifs ou des risques graves, sans exposer leur identité à l’employeur.

Elle offre une alternative aux salariés qui hésitent à témoigner, souvent par crainte pour leur sécurité ou leur poste. Cette décision répond donc aux préoccupations des salariés qui, bien que désireux de contribuer à une démarche de justice, sont retenus par la peur des conséquences.

En droit prud’homal, la preuve est libre, ce qui signifie que les faits peuvent être établis par tout moyen. Cependant, cette liberté s’accompagne d’une exigence : la preuve doit être crédible et convaincante.

Les témoignages anonymisés ne suffisent pas à eux seuls, mais, lorsqu’ils sont intégrés dans un faisceau d’indices probants, ils peuvent jouer un rôle clé pour démontrer la réalité des faits. Cela ouvre de nouvelles perspectives pour les salariés et les Comités Sociaux et Économiques (CSE) qui souhaitent documenter des situations de harcèlement ou des risques graves, sans mettre en péril leurs témoins.

  • Pour les CSE : Comment utilisez-vous cette approche dans vos démarches pour défendre les intérêts des salariés ?
  • Pour les RH et employeurs : Comment intégrez-vous cette jurisprudence dans vos pratiques de prévention et de gestion des conflits ?
  • Pour les salariés : Cette solution peut-elle vous encourager à témoigner dans des situations délicates ?

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Cadres Dirigeants : Des Remises en Cause de Plus en Plus Fréquentes

Le statut de cadre dirigeant, souvent perçu comme prestigieux mais peu protecteur pour les salariés, fait l’objet de nombreuses contestations juridiques. En excluant l’application des règles relatives aux heures supplémentaires, ce statut soulève des enjeux majeurs pour les entreprises comme pour leurs employés. Les récentes décisions de la Cour de cassation illustrent une tendance à élargir les possibilités de requalification de ce statut indument appliqué.

Les Critères d’Éligibilité au Statut de Cadre Dirigeant

Selon l’article L. 3111-2 du Code du travail, trois conditions cumulatives doivent être remplies pour qu’un salarié soit reconnu comme cadre dirigeant :

  • Une indépendance dans l’organisation de son emploi du temps,
  • Une autonomie décisionnelle significative,
  • Une rémunération parmi les plus élevées de l’entreprise.

En outre, il est impératif que le salarié participe directement à la direction stratégique de l’entreprise. C’est sur ce dernier critère que de nombreuses contestations se concentrent.

Trois Exemples Marquants de Requalification

Voici trois arrêts récents où la Cour de cassation a refusé la qualification de cadre dirigeant :

  1. Responsable central qualité (Cass. soc., 14 nov. 2024, n°23-16.188)
    Bien que disposant d’une grande liberté d’organisation et d’une rémunération élevée, le salarié n’était pas impliqué dans la direction stratégique de l’entreprise.
  2. Directeur d’établissement (Cass. soc., 14 nov. 2024, n°23-20.793)
    Ce directeur gérait son établissement de manière autonome mais exécutait principalement les objectifs définis par sa hiérarchie, sans implication dans la stratégie globale.
  3. Directeur financier (Cass. soc., 20 nov. 2024, n°23-17.881)
    Bien qu’ayant de lourdes responsabilités et une grande autonomie, le directeur financier d’une entité de taille modeste n’intervenait pas dans la gestion stratégique de l’entreprise.

La Prescription : Un Point Clé des Litiges

La prescription triennale est une élément central dans les actions de requalification du statut de cadre dirigeant. Un arrêt du 4 décembre 2024 (Cass. soc., n°23-12.436) précise que ce délai commence à courir à partir de la date de connaissance des faits par le salarié. Par exemple, une action intentée en 2019 pour des créances salariales remontant à 2016-2018 a été jugée recevable.

Employeurs : Assurez-vous que les critères du statut de cadre dirigeant sont respectés afin d’éviter des litiges et des réqualifications coûteuses.

Salariés : Ces décisions renforcent votre capacité à contester ce statut et à réclamer des droits liés aux heures supplémentaires.

Quand une prime facultative devient un droit acquis pour le salarié

Les employeurs doivent redoubler de vigilance dans la gestion des primes. Une jurisprudence récente de la Cour de cassation rappelle que le versement répété d’une prime, même facultative à l’origine, peut la transformer en droit acquis pour le salarié. Éclairages sur ce sujet essentiel.

Qu’est-ce qu’une prime ?

Une prime est une somme d’argent versée par un employeur à un salarié en complément de son salaire de base. Elle peut être ponctuelle ou régulière et a souvent pour but de :

  • Récompenser une performance exceptionnelle ;
  • Motiver le salarié dans son travail ;
  • Compenser des conditions de travail spécifiques ou récompenser l’ancienneté.

Cependant, ce complément de rémunération, initialement discrétionnaire, peut devenir une obligation contractuelle si certaines conditions sont réunies.

Deux décisions clés de la Cour de cassation

1. Arrêt du 13 décembre 2023

La Cour de cassation a jugé que la répétition systématique d’une erreur de l’employeur (comme le paiement d’une prime résultant d’un défaut de paramétrage) peut conduire à la contractualisation de cette prime. Ainsi, même si le versement était accidentel à l’origine, sa pérennité transforme la prime en un droit pour le salarié.
Référence juridique : Cass. soc., 13 déc. 2023, n° 21-25.501.

2. Arrêt du 4 décembre 2024

Dans cet arrêt, la Cour a confirmé que le versement continu d’une prime pendant 20 ans l’avait intégrée au contrat de travail. Ce droit acquis subsiste même si les conditions initiales d’attribution étaient précisées comme facultatives.
Référence juridique : Cass. soc., 4 déc. 2024, n° 23-19.528.

Points de vigilance pour les employeurs

  • Documenter les conditions d’attribution : Spécifiez par écrit que la prime est exceptionnelle et ne constitue pas un droit acquis.
  • Éviter les répétitions : Limitez le versement régulier des primes ponctuelles pour prévenir leur contractualisation.
  • Corriger rapidement les erreurs : Toute erreur dans la gestion des paies doit être rectifiée dès que possible pour éviter qu’elle ne devienne une habitude créatrice de droits.

En conclusion

Ces décisions rappellent aux employeurs que l’erreur ou l’habitude peuvent devenir sources de droits en matière de primes. Il est donc crucial d’être rigoureux et précis dans la gestion des compléments de rémunération.


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De la qualification en démission d’un abandon de poste

Pendant de nombreuses années, les employeurs n’avaient pas d’autre choix que de sanctionner les abandons de poste par des licenciements pour faute grave.

Cela obligeait l’employeur à respecter le formalisme de la procédure de licenciement, mais le salarié bénéficiait de l’allocation d’aide au retour à l’emploi.

Depuis un an et demi, cette procédure n’est quasiment plus utilisée pour sanctionner les salariés déserteurs.

En effet, la parution du décret du 17 avril 2023, qui a précisé les modalités d’application du dispositif créé par la loi Marché du travail du 21 décembre 2022, a ouvert la possibilité pour l’employeur de considérer que son salarié absent avait démissionné.

Une garantie était néanmoins concédée au salarié pour éviter une action intempestive de l’employeur : l’obligation pour ce dernier de mettre en demeure, par lettre recommandée, le salarié de reprendre son poste ou de justifier son absence sous quinzaine.

Le décret du 17 avril 2023 ainsi que la « FAQ » ont été attaqués devant le Conseil d’État aux fins d’annulation.

Le 18 décembre 2024, le Conseil d’État a refusé d’annuler ledit décret.
Il impose néanmoins à l’employeur d’informer, lors de la mise en demeure, le salarié des conséquences de l’absence de réponse à ladite mise en demeure. (CE 18 décembre 2024, n° 473640)

En effet, l’employeur devra impérativement préciser dans la mise en demeure qu’il adresse au salarié le fait qu’à défaut de reprise du travail dans le délai imparti ou de motifs légitimes, ce dernier sera considéré comme ayant démissionné de son poste.

Cette précision ajoute au texte stricto sensu du décret du 17 avril 2023, mais les praticiens du droit préconisaient déjà cette mention.

La décision du Conseil d’État transforme donc les bonnes pratiques en obligations jurisprudentielles.