Tous les articles par Carole Vercheyre-Grard

Me Carole VERCHEYRE-GRARD est titulaire d’un DEA de droit des affaires et droit économique de l’université Paris II (Assas) de 1995. Elle possède une double compétence en droit des affaires et droit du travail. Sa connaissance du milieu judiciaire, lui permet une approche pragmatique des contentieux devant les Tribunaux de Commerce et le Conseil de Prud’hommes.

Travail pendant le congé de maternité : que risque l’employeur ?

Shot of a young woman working at home while holding her newborn baby son

L’interdiction de faire travailler une salariée pendant son congé de maternité résulte de plusieurs textes du Code du travail qui prévoient que :

  • Chaque salariée bénéficie d’un congé de maternité pendant une période qui commence six semaines avant la date présumée de l’accouchement et se termine dix semaines après la date de celui-ci (C. trav., art. L. 1225-17) ;
  • l’employeur ne doit pas employer une salariée pendant une période de huit semaines au total avant et après son accouchement, ainsi que dans les six semaines qui suivent son accouchement (C. trav., art. L. 1225-29).

Que risque l’employeur à faire travailler sa salariée pendant son congé de maternité ?

L’employeur s’expose d’abord à une sanction pénale.

En effet, s’il a fait obstacle à l’exercice par la salariée de son droit de suspendre son contrat de travail, il est passible d’une amende de la contravention de 5ème classe (1.500 €) qui peut être majorée en cas de récidive (C. trav., art. R. 1 227-5 et R. 1 227-6).

Mais il risque également une condamnation à des dommages et intérêts devant le Conseil de prud’hommes.

En effet, la Cour de cassation considère que le seul constat du manquement de l’employeur à son obligation de suspendre toute prestation de travail durant le congé de maternité, ouvre droit à réparation pour la salariée.( Cour de Cassation Chambre sociale – Formation de section 4 septembre 2024 n°22-16129, publié)

En d’autres termes, il existe nécessairement un préjudice lorsque la salariée travaille pendant son congé de maternité.

Comment calculer les heures supplémentaires en présence de commissions ?

Il est de jurisprudence constante que l’assiette servant de base au calcul de la majoration pour heures supplémentaires inclut le salaire horaire de base effectif réel et les avantages en nature.

Dès lors, pour établir le taux horaire de base du salarié, l’employeur doit intégrer toutes les primes constituant un élément de salaire lorsqu’elles sont la contrepartie directe du travail fourni par le salarié, et, selon l’administration, les primes inhérentes à la nature du travail.

Cela signifie qu’en principe, des commissions perçues par le salarié sur ses ventes entrent dans l’assiette retenue pour établir le taux horaire de base qui sera par la suite majoré pour le paiement des heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale de 35 heures hebdomadaires (ou de la durée considérée comme équivalente).

Mais faut-il inclure les commissions perçues qui sont certes la résultante du travail du salarié mais sans lien avec un temps de travail supplémentaire ?

Cette question a été posée à la Cour de Cassation dernièrement.

Sans surprise, elle a répondu que les commissions doivent être intégrée, indépendamment de la durée du travail que le salarié y avait consacré dès lors qu’elles étaient rattachées directement à l’activité personnelle du salarié. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 juillet 2024, 23-10.569, Inédit)

Salariés, vérifier donc vos fiches de paie si vous avez un salaire variable et que vous effectuez des heures supplémentaires.

Rappelons en effet qu’à défaut d’accord d’entreprise, le taux de majoration est 25 % pour les 8 premières heures supplémentaires (de 35 h à 43 h dans le cas général) et de 50 % pour les suivantes (au-delà de 43 h dans le cas général).

Cela peut être financièrement intéressant.

SYNTEC – BETIC : Le nouveau forfait jours pour les salariés 2.3

Il est désormais possible pour les salariés de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, classés position 2.3 niveau 150 qui l’acceptent de bénéficier d’un forfait jours de 218 jours par an.

Le salarié pourra prétendre à une rémunération de 122% du minimum conventionnel de la catégorie 2.3 sur la base d’un forfait annuel de 218 jours travaillés ou sur la base du forfait défini en entreprise.

En clair : un salarié 2.3 pourra bénéficier d’un forfait jours et devra avoir une rémunération minimum de 3 905,22 euros ( 3 201 € X 122%) sur la base de la grille de salaire actuellement applicable.

Il aura fallu un an et demi entre l’accord des partenaire sociaux et la publication  de l’arrêté d’extension.

L’arrêté d’extension entérinant l’accord n°2 du 13 décembre 2022 a été signé le 12 juin 2024 et a été publié le 20 juin 2024.

Pour les salariés en position 3, quel que soit le niveau, la majoration reste actuellement de 120%.

Syntec : La fermeture de l’entreprise et les congés payés

La société Altran continue d’alimenter la jurisprudence portant sur la convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseil, dite SYNTEC ou CINOV ou BETIC.

Dans un pourvoi récent, la Cour de Cassation a été interrogée par une organisation syndicale sur le droit de l’employeur de fermer unilatéralement l’entreprise entre Noël et le jour de l’an, tout en imposant à tous les salariés la prise de congés payés.

En bref, une fermeture hivernale de l’entreprise par l’employeur entraîne-t-elle l’obligation pour l’employeur de payer les jours de fermeture ou peut-il imposer la prise de congés payés à ses salariés ?

La Cour de cassation tranche en faveur des salariés en reprenant simplement le texte de la convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseil, dite SYNTEC ou CINOV ou BETIC dans sa version antérieure qui prévoit que :

  • l’employeur peut fermer totalement l’entreprise en imposant des congés sur une période entre le 1er mai et le 31 octobre ;
  • l’employeur doit en principe fixer les congés par roulement après consultation du CSE.

Par conséquent, la Convention collective n’autorise pas l’employeur à fermer son entreprise en dehors de la période estivale. (Cour de Cassation Chambre sociale 13 mars 2024, n°22-16.677)

La conséquence est simple : si l’entreprise est fermée en période hivernale, elle doit payer ses salariés sans leur imposer la prise de congés.

A moins qu’elle ait eu la sagesse de négocier en amont avec les partenaires sociaux.

Notons que l’article 5.4 de la nouvelle convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseil, dite SYNTEC ou CINOV ou BETIC prévoit :

« L’employeur peut après consultation du comité social et économique (CSE) s’il existe :

–  soit procéder à la fermeture  totale de l’entreprise ;

–  soit établir les congés payés par roulement.

En cas de fermeture totale de l’entreprise pour congés payés sur la période du 1er mai au 31 octobre, la date de  fermeture  doit être portée à la connaissance des salariés au plus tard le 1er mars de chaque année.

En cas de  fermeture totale de l’entreprise pour congés payés en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre, la date de  fermeture  doit être portée à la connaissance des salariés au plus tard deux (2) mois avant le premier jour de fermeture de l’entreprise. »

Maladie et acquisition de congés payés

Congés payés et maladie : la loi vient d’être publiée au journal officiel aujourd’hui.

Si vous souhaitez prendre connaissance des nouvelles dispositions, vous pouvez consulter la LOI n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole.

Et plus spécifiquement le Titre V : DISPOSITIONS D’ADAPTATION AU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE EN MATIÈRE SOCIALE ET DE DROIT DE LA SANTÉ (Articles 35 à 37).

Si vous souhaitez juste un petit résumé, voici en bref ce qu’il faut retenir :

  • Un salarié en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle acquiert des congés payés sur la base de 2,5 jours de congé par mois dans la limite de 30 jours ouvrables par an et ce sans limitation de durée ;
  • Le salarié en arrêt de travail, hors accident du travail et maladie professionnelle, acquiert quant à lui 24 jours de congés payés par an soit de 2 jours par mois ;
  • A son retour d’arrêt de travail, le salarié qui a été dans l’impossibilité de prendre ses congés payés a droit au report de ses congés payés non pris (avant et après l’arrêt) dans un délai maximum de 15 mois.

Ce délai court à compter de l’information faite par l’employeur dans le mois de la reprise sur le nombre de jours dont il dispose et de la date limite de report.

  • Attention cependant : si à la fin de la période de référence (en général le 31 mai N), le salarié est en arrêt depuis au moins un an, le délai de report commence automatiquement à courir.

A compter de l’entrée en vigueur de la loi, les salariés peuvent agir pendant 2 ans pour faire reconnaitre leurs droits acquis à ce titre depuis 2009.

Quand le bulletin de paie du salarié est diffusé par erreur

Ce n’est un secret pour personne, le bulletin de paie contient des données personnelles que l’employeur doit protéger.

Le salarié a droit au respect de sa vie privée.

N’oublions pas que le bulletin de paie contient non seulement la rémunération du salarié mais également son adresse personnelle, son numéro de sécurité sociale, son taux d’imposition et des informations sur son emploi.

Les informations contenues dans le bulletin de paie du salarié appartiennent clairement à sa sphère privée.

La Cour de cassation rappelle qu’en application de l’article 9 du Code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée et que la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 20 mars 2024, 22-19.153, Inédit)

Elle en déduit justement que la seule communication du bulletin de paie du salarié par l’employeur a un tiers ouvre toujours un droit à indemnisation pour le salarié.

Il n’est donc pas nécessaire de prouver un préjudice pour obtenir réparation de cette violation de la vie privée.

Peu importe que l’employeur ait agi sciemment ou non.

L’erreur est humaine mais le préjudice qu’elle cause est toujours indemnisable.

Reste tout de même pour les juges du fond à quantifier le préjudice.

C’est certainement là que le bât blesse !

En effet, rien n’empêche les juges du fond de limiter l’indemnisation à 1 euro symbolique…

Ainsi, si le salarié souhaite obtenir une véritable indemnisation, il sera obligé d’établir l’étendue de son préjudice.

Le salarié devra démontrer que la communication, à des tiers, de sa fiche de paie a eu des répercussions en termes de réputation, de carrière, d’image au sein de l’entreprise s’il souhaite une juste indemnisation de son préjudice.

Du droit au secret des correspondances privées racistes même sur la messagerie de l’entreprise

Le salarié peut-il envoyer de sa messagerie professionnelle des messages personnels racistes à ses amis ?

C’est cette question qui a été posée à la Cour de cassation dernièrement.

Dans cette affaire, une salariée de la CPAM de Haute-Garonne avait envoyé, avec son courriel professionnel, des messages personnels au « caractère manifestement raciste et xénophobe » à d’autres salariés de la CPAM, qui étaient ses amis.

Cette salariée avait été licenciée pour faute grave, son employeur s’appuyant :

  • sur non seulement les principes de neutralité et de laïcité du service public ;
  • mais également le règlement intérieur de la CPAM et la charte d’utilisation de la messagerie électronique interdisant expressément tout propos raciste ou discriminatoire comme la provocation à la discrimination, à la haine notamment raciale, ou à la violence.

La Cour de cassation confirmant la Cour d’appel lui donne tort en rappelant que, peu importe les propos, le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée.

(Cass. soc., 6 mars 2024, n° 22-11.016)

De ce fait, même si le règlement intérieur de la CPAM interdisait d’utiliser sa messagerie pour des mails personnels, cela n’interdisait pas à la salariée d’utiliser sa messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés dès lors que :

  • elle n’en avait pas abusé (En l’occurrence, elle n’avait envoyé que 9 messages personnels en 11 mois) ;
  • il s’agissait clairement de messages privés non destinés à être connus de l’entreprise ;
  • elle n’avait émis que des opinions sans incidence sur son emploi ou dans ses relations avec les usagers ou les collègues.

La Cour de cassation considère que l’employeur a eu tort de procéder au licenciement de la salariée en se fondant sur le contenu des messages litigieux qui relevaient de sa vie personnelle.

Cette décision n’est pas surprenante au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation du 23 décembre 2023.

En effet, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Cour de Cassation , Ass. plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330, publié).

Néanmoins, si en droit cette solution est conforme au droit européen, il est constant qu’elle peut choquer le public quant à la morale.

Néanmoins, être raciste n’est pas en soi une cause de licenciement.

Vidéosurveillance en entreprise et droit au respect de la vie privée

Quand l’employeur décide d’installer une vidéo surveillance dans l’entreprise, il se doit d’en informer les salariés et les représentants du personnel.

S’il ne le fait pas, les vidéos sont des enregistrements illicites et en principe, ils ne peuvent pas servir pour licencier un salarié.

Néanmoins comme pour les enregistrements audio illicites, les enregistrements vidéo illicites peuvent parfois constituer des preuves pour l’employeur.

Le juge doit apprécier si l’atteinte portée par l’employeur à la vie personnelle du salarié est légitime et proportionnée à la défense des intérêts de son entreprise.

En d’autres termes,  

« En présence d’une preuve illicite, le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi. » (Cass. soc., 14 févr. 2024, n° 22-23.073)

Dans l’affaire ci-dessus rapportée, une pharmacie avait installé une vidéosurveillance dans les locaux de l’entreprise sans information préalable de son personnel.

Par la suite, le pharmacien avait eu à déplorer des écarts de stocks inexplicables.

Pour essayer de déterminer s’il était victime de vol, il avait donc visionné les enregistrements vidéo qui avaient permis de confondre le coupable.

Les juges du fond avaient pris en considération les enregistrements litigieux en retenant que :

  • le visionnage des enregistrements avait été limité dans le temps ;
  • il était intervenu dans un contexte de disparition des stocks, après des premières recherches infructueuses ;
  • seul dirigeant de l’entreprise avait visionné les vidéos.

La production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi.

Les pièces litigieuses étaient donc recevables.

La Cour de Cassation approuve cette position.

De l’impossibilité pour l’employeur de récupérer des primes indûment versées depuis plusieurs années

En principe en droit du travail, l’erreur commise dans le versement d’une prime ne peut pas être créatrice de droit.

L’employeur peut donc refuser de maintenir une prime versée par erreur pour le futur.

Cependant cette règle n’est pas intangible.

En effet, la Cour de cassation dans sa décision du 13 décembre 2023 illustre une situation où des erreurs récurrentes peuvent :

–> non seulement empêcher l’employeur de récupérer les sommes indûment versées ;

–> mais également l’obliger à les maintenir pour le futur.

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 décembre 2023, 21-25.501, Inédit

Dans cette affaire, un salarié avait perçu des primes d’équipe et de casse-croûte payées de 2009 à 2017.

Puis en 2017, l’employeur découvrait que son logiciel de paye avait été mal paramétré et que son salarié n’y avait pas droit, faute de travailler en équipe.

Il décidait alors de lui supprimer les primes en question.

Il a eu tort.

L’employeur en versant pendant plus de sept années de façon continue au salarié des primes d’équipe et de casse-croûte avait ainsi accepté de contractualiser l’augmentation de la rémunération du salarié.

Il ne pouvait plus modifier ou annuler ces éléments de manière unilatérale.

De la modification unilatérale du lieu de travail

Sauf si le contrat de travail fixe un lieu de travail précis indérogeable ce qui est de plus en plus rare, l’employeur a le droit de modifier le lieu de travail sans l’accord du salarié dans le même secteur géographique.

Cette notion jurisprudentielle de « secteur géographique » est soumise à l’appréciation des juges.

Comment l’apprécier in concreto ?

En d’autres termes, comment savoir si l’employeur a le droit de procéder à la mutation au titre de son pouvoir discrétionnaire ?

Dans un arrêt du 24 janvier 2024, la Cour de cassation donne aux juges du fond une illustration des points à prendre en considération pour déterminer si la mutation géographique peut être imposée au salarié. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 24 janvier 2024, 22-19.752, Inédit)

Dans cette affaire, une salariée avait refusé d’accepter le changement de son lieu de travail décidé unilatéralement par l’employeur de la localité X à la localité Y.

Son employeur l’avait licenciée pour faute grave.

Or, dans le contrat de travail de la salariée, il était expressément précisé que la salariée était rattachée au site l’entreprise à l’Adresse 7 de la localité X.

En outre, il était stipulé que, compte tenu de la structure de l’entreprise, le lieu de travail de la salariée pourrait être modifié temporairement ou définitivement dans le bassin d’emploi de ladite localité X.

Pour déterminer que la localité Y n’était pas dans le même secteur géographique que la localité X et que l’employeur avait donc eu tort de licencier en raison de son refus, la Cour de cassation a pris en considération :

  • la distance de 35 kilomètres entre la localité X de localité Y ;
  • le fait que le covoiturage était difficile à mettre en place ;
  • le fait que rien ne démontrait que les transports en commun étaient facilement accessibles entre les deux communes aux horaires de travail de la salariée ;
  • le fait que l’usage du véhicule personnel en matière de fatigue et de frais financiers générait, en raison des horaires et de la distance, des contraintes supplémentaires.