Obésité : La protection du travailleur obèse en cas de discrimination

La Cour de justice de l’union européenne a été saisie pour la première fois de la question – à ma connaissance – de la discrimination d’un travailleur en raison de son obésité.

Elle retient dans un arrêt du 18 décembre 2014 (  C‑354/13) que : 

Le droit de l’Union ne consacre pas de principe général de non-discrimination en raison de l’obésité, en tant que telle, en ce qui concerne l’emploi et le travail.

IMG_20140923_122626– La directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprétée en ce sens que l’état d’obésité d’un travailleur constitue un «handicap», au sens de cette directive, lorsque cet état entraîne une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs.

Ainsi afin de savoir si l’obésité doit être considérée comme un handicap d’un salarié, il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, dans l’affaire au principal, les conditions précitées sont remplies.

Rappelons qu’en droit privé français, même si la personne obèse n’était pas considérée comme « handicapée » au sens européen, l’article L1132-1 du code du travail interdit également la discrimination en raison de l’apparence physique et donc la discrimination des personnes obèses.

Notons que c’est la Justice Danoise qui a interrogé la Cour de Justice de l’union européenne sur cette question d’obésité à propos d’un litige entre une administration danoise et un des assistants maternels qu’elle emploie.

Les faits sont les suivants :

 Le 1er novembre 1996, la Billund Kommune, l’une des administrations publiques danoises, a engagé M. Kaltoft par contrat à durée déterminée, en qualité d’assistant maternel, afin qu’il garde des enfants à son domicile.

 Cette personne était «obèse», au sens de la définition fournie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

La Billund Kommune a ensuite engagé M. Kaltoft par contrat à durée indéterminée, en qualité d’assistant maternel, avec effet au 1er janvier 1998.

Monsieur Kaltoft a exercé cette fonction pendant environ quinze ans.

Au cours de ces quinze années, Monsieur Kaltoft a perdu du poids qu’il a ensuite repris, comme lors de ses tentatives précédentes.

Au mois de mars 2010, M. Kaltoft a repris son travail d’assistant maternel après avoir pris un congé d’une année, motivé par des raisons familiales.

Par la suite, il a reçu à plusieurs reprises la visite inopinée de la responsable des assistants maternels, qui souhaitait s’enquérir de sa perte de poids.

Au cours de ces visites, la responsable des assistants maternels a pu constater que le poids de M. Kaltoft était demeuré quasi inchangé.

  En raison de la baisse du nombre d’enfants dans la Billund Kommune au second semestre 2010, M. Kaltoft a été informé par téléphone que la Billund Kommune envisageait de procéder à son licenciement, ce qui a entraîné la mise en œuvre de la procédure d’audition applicable pour le licenciement d’un employé public.

Lors d’un entretien avec la responsable des assistants maternels et en présence de la représentante du personnel, M. Kaltoft a demandé la raison pour laquelle il était le seul assistant maternel à être licencié.

 Les parties au principal s’accordent sur le fait que l’obésité de M. Kaltoft a été évoquée au cours de cette réunion.

En revanche, elles sont en désaccord sur la question de savoir comment l’obésité de M. Kaltoft en est venue à être évoquée au cours de cette réunion, ainsi que sur la mesure dans laquelle l’obésité de M. Kaltoft avait été un élément pris en compte dans le processus de décision conduisant à son licenciement.

Par lettre du 4 novembre 2010, la Billund Kommune a formellement notifié à M. Kaltoft son intention de le licencier et l’a invité à lui soumettre, le cas échéant, des observations à cet égard.

 Dans ladite lettre, il a été exposé à M. Kaltoft que le licenciement envisagé intervenait «après une évaluation concrète motivée par la baisse du nombre d’enfants, d’où celle de la charge de travail, emportant des incidences financières sérieuses sur le service de garde d’enfants ainsi que sur son organisation».

Monsieur Kaltoft n’a pas pu se faire préciser concrètement les motifs pour lesquels le choix de licencier un ou une assistant(e) maternel(le) s’était porté sur lui.

 Il a été l’unique assistant licencié au motif de la baisse alléguée de la charge de travail.

La Billund Kommune ayant donné à M. Kaltoft un délai pour faire part de ses observations, celui-ci, par lettre du 10 novembre 2010, a exprimé le sentiment que son licenciement était motivé par son obésité.

Par lettre du 22 novembre 2010, la Billund Kommune a licencié M. Kaltoft, en indiquant que ce licenciement intervenait après une «évaluation concrète motivée par la baisse du nombre d’enfants».

 La Billund Kommune n’a fait aucune observation sur le sentiment exprimé par M. Kaltoft, dans sa lettre du 10 novembre 2010, relatif au réel motif du licenciement de celui-ci.

Monsieur Kaltoft  a saisi la juridiction danoise afin de faire constater qu’il avait été victime d’une discrimination fondée sur l’obésité et qu’il devait obtenir des dommages et intérêts pour cette discrimination.

Ladite juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Est‑il contraire au droit de l’Union, tel qu’il trouve expression, par exemple, à l’article 6 TUE sur les droits fondamentaux, que, sur le marché du travail, de manière générale ou plus particulièrement pour une administration publique en qualité d’employeur, il soit procédé à une discrimination fondée sur l’obésité?

2)      Une éventuelle interdiction en droit de l’Union de toute discrimination fondée sur l’obésité est‑elle directement applicable aux rapports entre un ressortissant danois et son employeur, ce dernier étant une administration publique?

3)      Si la Cour constate une interdiction dans l’Union de la discrimination sur le marché du travail fondée sur l’obésité, soit générale, soit plus particulièrement pour une administration publique en qualité d’employeur, l’appréciation de la question de savoir s’il y a eu méconnaissance d’une éventuelle interdiction de la discrimination fondée sur l’obésité doit-elle résulter d’une charge de la preuve partagée, de sorte que, dans un cas où l’existence d’une telle discrimination peut être présumée, l’application effective de cette interdiction exige que la charge de la preuve incombe à l’employeur visé par une plainte ou agissant en qualité de partie défenderesse à une procédure contentieuse […]?

4)      L’obésité peut‑elle être considérée comme constituant un handicap relevant de la protection de la directive 2000/78[…] et selon quels critères faut‑il apprécier si l’état d’obésité d’une personne a concrètement pour effet qu’elle doit bénéficier de la protection conférée par cette directive contre la discrimination fondée sur un handicap?»

Voici la réponse de la Cour :

« Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1)      Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne consacre pas de principe général de non-discrimination en raison de l’obésité, en tant que telle, en ce qui concerne l’emploi et le travail.

2)      La directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprétée en ce sens que l’état d’obésité d’un travailleur constitue un «handicap», au sens de cette directive, lorsque cet état entraîne une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, dans l’affaire au principal, ces conditions sont remplies. »

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