Ordonnances Macron : le droit du travail français est-il en train de perdre son âme ?

Je livre à votre sagacité en intégralité le communiqué de presse publié par le syndicat de la Magistrature sur les Ordonnances Macron :

« La France est un état de droit social et elle le restera. » C’est par cette formule cynique que le Premier ministre a introduit son propos de présentation des ordonnances du gouvernement en matière de droit du travail. Prétendument destinés à lutter contre le chômage tout en garantissant les droits des salariés (!), ces textes vont à l’encontre des fondements d’un droit destiné originellement à tenter de rétablir un équilibre dans une relation de travail par essence inégale.

L’une des cibles de la démarche est le juge prud’homal et c’est sur le front des licenciements que se situe l’attaque la plus manifeste à son office. Non seulement les délais pour saisir la juridiction sont raccourcis, ses facultés d’appréciation du motif économique du licenciement limitées, mais le principe même de son intervention qui consiste à évaluer la juste et entière réparation du préjudice du salarié en cas de licenciement fautif est atteint.

Selon ces ordonnances, quand un employeur licenciera « sans cause réelle et sérieuse », c’est-à-dire en commettant une faute, il saura par avance combien il lui en coûtera. Des employeurs peu scrupuleux pourront impunément violer la loi sans craindre autre chose que le tarif maximal fixé par le texte. Sauf à démontrer une discrimination, un harcèlement ou l’atteinte à une liberté fondamentale, le salarié injustement licencié ne verra pas l’intégralité de son préjudice indemnisé.

Le gouvernement a tenté un tour de passe-passe : produire un barème impératif à peine plus favorable que le barème indicatif actuellement en vigueur, sauf pour les salariés ayant le plus d’ancienneté. C’est oublier la distinction essentielle entre un barème indicatif, qui exprime une moyenne et ne s’oppose jamais à une indemnisation plus favorable, et un plafond auquel juges et salariés se heurteront sans faculté d’y déroger. Le seul critère de l’ancienneté éclipsera les conséquences individuelles, matérielles et morales, du licenciement pour le salarié, sans considération pour son environnement ou sa capacité à retrouver un emploi.

Pire encore, en matière de licenciement économique, ces dommages et intérêts ne pourront plus se cumuler au delà du plafond avec certaines indemnités. Le manquement par l’employeur à des obligations essentielles – de consulter les représentants du personnel, en matière de priorité à la réembauche, ou de constitution d’un comité d’entreprise – viendra se fondre dans les dommages et intérêts plafonnés. Et en tout état de cause, le juge sera incité à « tenir compte » des indemnités légales de licenciement, qui sont dues par tout employeur.

Contrairement aux annonces, les salariés des petites entreprises sont plus pénalisés encore : cette fois-ci, c’est le plancher des indemnités qui s’effondre et risque de tirer les dommages et intérêts vers le bas.

Et en matière d’emploi, par un effet de seuil, le risque est grand qu’on renonce à embaucher un onzième salarié pour bénéficier de minimas réduits.

La réforme est bâtie sur un leurre. Le droit du travail serait une des causes du chômage de masse, quand nulle étude ne l’a démontré, et les protections de forme, des irritants dont on pourrait se débarrasser sans conséquence, quand chacune de ces règles assure au fond le respect des droits. »

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