Peut-on obliger le salarié à dire « je le jure » lors d’une prestation de serment ?

Peut-on au nom d’une conviction religieuse refuser de dire  » :  je le jure » ?

En droit, le respect de la liberté de conscience et de religion (article 9 de la CEDH) impose de permettre à une personne qui prête serment de substituer à la formule « je le jure » une formule équivalente d’engagement solennel.

Un licenciement prononcé pour ce motif sera donc sans cause réelle et sérieuse. (Arrêt n° 965 du 7 juillet 2021 (20-16.206) – Cour de cassation – Chambre sociale – ECLI:FR:CCAS:2021:SO00965)

Mais il ne sera pas annulé pour discrimination en raison de la conviction religieuse.

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Vous trouverez-ci-joint le communiqué de presse de la Cour de Cassation sur cette question.

 

Lors d’une prestation de serment, il est possible de substituer à la formule « je le jure » un engagement solennel.

Les faits

Une salariée stagiaire de la RATP devait être affectée dans un service d’agents de contrôle après avoir prêté le serment des agents en application de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer. Cette loi ne détermine pas la formule du serment que doivent prononcer les agents. L’usage est de recourir à la formule suivante : « Je jure et promets de bien et loyalement remplir mes fonctions et d’observer en tout les devoirs qu’elle m’impose » et « Je jure et promets en outre d’observer fidèlement les lois et règlements concernant la police des chemins de fer et de constater par des procès-verbaux les contraventions qui viendraient à ma connaissance ».

À l’audience de prestation de serment, devant le président du tribunal de grande instance de Paris chargé de recevoir ce serment, la salariée a proposé une autre formule au motif que sa religion chrétienne lui interdisait de jurer.

Le président du tribunal a refusé la substitution de formule et a fait acter que le serment n’avait pas été prêté.

Faute de prestation de serment, la salariée a été licenciée pour faute par la RATP.

La procédure

Ayant saisi la juridiction prud’homale d’une contestation de son licenciement, la salariée a vu sa demande rejetée par la cour d’appel de Paris qui a jugé que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse en raison de la faute de la salariée ayant refusé de se soumettre à la procédure d’assermentation. Le 1er février 2017 la chambre sociale a cassé cet arrêt pour deux motifs : d’une part, il résulte de l’article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer que le serment des agents de surveillance exerçant au sein des entreprises visées par cette disposition peut être reçu selon les formes en usage dans leur religion, d’autre part, la salariée, n’ayant pas commis de faute, le licenciement avait été prononcé en raison de ses convictions religieuses et était nul. En 2019, la cour d’appel a rejeté la demande de nullité du licenciement aux motifs que la formule juratoire est dénuée de connotation religieuse et qu’ainsi l’employeur avait seulement respecté la loi qui exige l’assermentation pour exercer des fonctions d’agent de contrôle. La salariée a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Qu’est-ce qu’une prestation de serment ?

Le serment promissoire est un engagement solennel pris par une personne devant le juge : il recouvre le serment professionnel par lequel une personne, avant sa prise de fonction, s’engage à remplir les devoirs de celle-ci et aussi le serment de particuliers qui s’engagent à accomplir une mission ou un acte déterminé selon les règles propres à cette mission ou à cet acte (notamment les jurés et les témoins). Les textes légaux et réglementaires qui prévoient des formules précises de prestation de serment utilisent régulièrement la formule « je le jure » mais il est parfois recouru à d’autres termes.

Il peut aussi être noté, par exemple, qu’à la Cour de justice de l’Union européenne, pour la prestation de serment des nouveaux agents, deux formules de serment sont proposées, l’une commençant par « je jure », l’autre par « je promets solennellement ».

La question posée à la Cour de cassation

Lors d’une prestation de serment, est-il possible de substituer à la formule « je le jure » un engagement solennel ?

Un employeur peut-il retenir une faute contre un salarié qui n’a pas voulu prêter serment en utilisant les termes « je le jure » ?

La décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation juge que le respect de la liberté de conscience et de religion impose de permettre à une personne qui prête serment de substituer à la formule « je le jure » une formule équivalente d’engagement solennel. Cette position est conforme :

– à la jurisprudence de la CEDH qui considère que les autorités de l’État ne peuvent s’enquérir des convictions religieuses d’une personne ou l’obliger à les manifester notamment à l’occasion d’une prestation de serment pour pouvoir exercer certaines fonctions ;

– à une jurisprudence très ancienne de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui permet aux témoins de prêter serment devant les juridictions pénales sans utiliser la formule « je le jure ».

Cet arrêt articule la liberté de conscience de la personne qui va prêter serment avec le principe de laïcité et de neutralité du service public qui s’impose à tout agent collaborant à un service public dans l’exercice de ses fonctions.

Par ailleurs, cet arrêt permet seulement de substituer une formule exprimant un engagement solennel aux termes « je le jure » et non de modifier la substance du serment qui doit être prononcé.

La Cour de cassation juge que refuser de dire « je le jure » ne constitue donc pas une faute et que le licenciement prononcé par la RATP sur ce fondement est sans cause réelle et sérieuse.

Toutefois, la Cour de cassation retient que l’employeur n’a pas commis de discrimination car il n’a pas décidé ce licenciement en raison des croyances religieuses de la salariée.

La chambre sociale de la Cour de cassation juge donc que le licenciement de la salariée était dépourvu de cause réelle et sérieuse et renvoie l’affaire devant une autre cour d’appel mais uniquement pour que soit fixée l’indemnisation à laquelle la salariée peut prétendre à ce titre.

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