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Affaire de la Crèche Baby Loup : La Cour d’Appel de Paris entre en résistance

Peut-on interdire le port du voile au personnel d’une crèche privée?

C’est cette question qui avait été tranchée par la chambre sociale de la Cour de Cassation dans l’affaire très médiatisée de la crèche BABY LOUP, affaire dans laquelle une salariée éducatrice de jeunes enfants de la crèche Baby Lou avait été licenciée pour avoir refusé d’ôter son voile. 

La Cour de Cassation avait jugé que dans le secteur privé, sans mission de service public, il n’est pas possible d’invoquer le principe de laïcité pour limiter la liberté de se vêtir du salarié.((Arrêt n° 536 du 19 mars 2013 (11-28.845) – Cour de cassation – Chambre sociale -).

Tout naturellement, l’affaire a été renvoyée devant la Cour d’Appel de Paris après cet arrêt de cassation afin que cette dernière réexamine le licenciement de la salariée.

La Cour d’Appel dans un arrêt du 27 novembre 2013 refuse de s’incliner et confirme la validité du licenciement intervenu en s’appuyant sur le fait que la crèche et halte garderie est « une personne morale de droit privé, qui assure une mission d’intérêt général » ; en tant que telle et qu’elle peut dans certaines circonstances constituer une « entreprise de conviction » au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Selon la Cour d’Appel de Paris, la crèche pouvait parfaitement adopter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches.

La Cour d’Appel de Paris s’appuie sur l’article 14 de la convention des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 qui prévoit :

« 1. Les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

2. Les Etats parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l’enfant, de

guider celui ci dans l’exercice du droit susmentionné d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités.

3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. « 

La Cour d’Appel de Paris en conclut qu’une telle obligation emporte notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion et que les restrictions ainsi apportées sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, et ne portent pas atteinte aux libertés fondamentales, dont la liberté religieuse. (CA Paris, 27 nov. 2013, n° 13/02981)

C’est une décision courageuse et très bien motivée….

 CA PARIS 27/11/2013 n°13/02981

La liberté de se vêtir au regard du principe de laïcité et du caractère privé ou public de l’employeur

La liberté de se vêtir à sa guise n’entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales et l’employeur peut tout à fait estimer qu’une tenue vestimentaire estincompatible avec les fonctions et conditions de travail.

La violation du principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution permet-il de restreindre la liberté de se vêtir du salarié en refusant par exemple le port du voile ou de signes religieux ?

La Cour de Cassation répond par la négative pour les salariés des employeurs de droit privé tant qu’ils n’assurent pas une mission de service public.

La haute juridiction pour expliquer la distinction a rendu deux décisions.

Dans la première, elle tranche la situation qui avait été très médiatisée de la salariée éducatrice de jeunes enfants de la crèche Baby Lou qui avait été licenciée pour avoir refusé d’ôter son voile. ( Arrêt n° 536 du 19 mars 2013 (11-28.845 – Cour de cassation – Chambre sociale – ).

Pour mémoire, le règlement intérieur de la crêche interdisait le port du voile.

Il prévoyait une stipulation spécifique précisant que dans l’exercice du travail, le salarié devait respecter et garder la neutralité d’opinions politiques et confessionnelles au regard du public accueilli telle que mentionnée dans les statuts de l’association.

La Cour de Cassation considère que le licenciement de la salariée voilée est sans cause réelle et sérieuse car fondé sur un motif discriminatoire.

Voici l’attendu : « le règlement intérieur de l’association Baby Loup prévoit que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche », ce dont il se déduisait que la clause du règlement intérieur, instaurant une restriction générale et imprécise, ne répondait pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail et que le licenciement, prononcé pour un motif discriminatoire, était nul,sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres griefs visés à la lettre de licenciement. »

Elle retient donc que dans le secteur privé sans mission de service public, il n’est pas possible d’invoquer le principe de laïcité pour limiter la liberté de se vêtir du salarié.

Dans la seconde décision, elle a validé le règlement intérieur de la caisse primaire d’assurance maladie qui limitait la liberté de se vêtir au respect du principe de laïcité. 

Elle souligne que la restriction était nécessaire à la mise en oeuvre du principe de laïcité afin d’ assurer aux yeux des usagers la neutralité du service public. ((Arrêt n° 537 du 19 mars 2013 (12-11.690) – Cour de cassation – Chambre sociale ).

Il importait peu que la salariée travaille pour une personne morale de droit privé car cette dernière participait à une mission de service public.

Voici la motivation : 

« Mais attendu que la cour d’appel a retenu exactement que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé et que, si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents des caisses primaires d’assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires ;

Et attendu qu’ayant retenu que la salariée exerce ses fonctions dans un service public en raison de la nature de l’activité exercée par la caisse, qui consiste notamment à délivrer des prestations maladie aux assurés sociaux de la Seine-Saint-Denis, qu’elle travaille en particulier comme « technicienne de prestations maladie » dans un centre accueillant en moyenne six cent cinquante usagers par jour, peu important que la salariée soit ou non directement en contact avec le public, la cour d’appel a pu en déduire que la restriction instaurée par le règlement intérieur de la caisse était nécessaire à la mise en oeuvre du principe de laïcité de nature à assurer aux yeux des usagers la neutralité du service public . »

PORT DU VOILE ET LICENCIEMENT

(mis à jour le 1/07/2014) – voir également l’affaire baby loup

La décision du Conseil des Prud’hommes de MANTES LA JOLIE du 13 décembre 2010 sur le licenciement d’une salariée qui refusait d’enlever son voile sur son lieu de travail a fait d’ores et déjà couler beaucoup d’encre.

Il n’est pas inutile de rappeler les faits de l’espèce.

Une association, qui avait pour objet l’accueil de la petite enfance, avait engagé la salariée en qualité d’Assistante Maternelle depuis de nombreuses années.

Le règlement intérieur du personnel de l’association avait prévu une stipulation spécifique précisant que dans l’exercice du travail, le salarié devait respecter et garder la neutralité d’opinions politiques et confessionnelles au regard du public accueilli tels que mentionnés dans les statuts.

Il convient en effet de noter qu’il s’agissait d’une crèche ayant une activité de service public puisqu’elle percevait 80 % de son budget par des subventions publiques.

En décembre 2008, la salariée revenant d’un congé parental s’est présentée à la crèche avec son voile.

Sa supérieure lui demanda immédiatement de retirer celui-ci, ce que la salariée refusa.

Elle refusa également d’accepter la mise à pied conservatoire en découlant et la convocation à l’entretien préalable qui lui était transmis le lendemain.

Parallèlement, elle se maintenait sur place, refusant de sortir de la crèche et de respecter la mise à pied transmise par son employeur.

C’est dans ces conditions que l’employeur l’a licenciée pour faute grave sur des motifs d’insubordination, d’obstruction et de menaces.

L’argumentaire soulevée par la salariée pour contester son licenciement reposait principalement sur la liberté de se vêtir à sa guise au temps et lieu de travail.

Elle s’appuyait notamment sur une décision du Conseil d’Etat qui estimait que le seul port du foulard ne constitue pas en lui même un acte de pression ou de prosélytisme (Conseil d’Etat – 27 nov.1996 – n° 170 209).

De même, elle invoquait des délibérations de la HALDE dont celle n°2009-22 du 26 janvier 2009 qui prévoyait que le port d’un vêtement répondant à une pratique religieuse ou manifestant l’appartenance à une religion, à un parti politique ou à un mouvement philosophique ne relevait pas en tant que telle d’un comportement prosélyte.

Le Conseil de prud’hommes s’appuyant sur la constitution qui précise en son article 1 que la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale et sur les statuts de l’association et son règlement intérieur a décidé que l’insubordination de la salariée était caractérisée :

– puisqu’elle n’avait pas respecté le règlement intérieur en refusant de retirer son voile malgré les demandes réitérées de la Direction.

-puisqu’elle a refusé de quitter les locaux de l’entreprise lors de sa mise à pied

Le licenciement pour faute grave de la salariée a donc été validé.

Le Conseil de Prud’hommes en tranchant la solution en ce sens, se rapproche de la décision rendue par la Cour de cassation en Chambre sociale le 28 mai 2003 lorsque cette dernière a rappelé que la liberté de se vêtir à sa guise n’entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales et que l’employeur peut tout à fait estimer qu’une tenue vestimentaire est incompatible avec les fonctions et conditions de travail.

La Cour de Paris a également eu à statuer sur cette question le 16 mars 2010, n° 99-31 302 et a jugé qu’une vendeuse pouvait se voir interdire de porter un foulard dissimulant totalement son cou et la partie de son visage.

Ces décisions ne doivent cependant pas être considérées comme des décisions de principe puisque dans sa délibération n°209-117 du 6 avril 2009, la HALDE a rappelé que « la justification au cas par cas de la pertinence et de la proportionnalité de la décision au regard de la tâche concrète du salarié et du contexte devaient être appréciées afin de démontrer que l’interdiction du port de signes religieux et en dehors de toute discrimination proportionnelle est justifiée par la tâche à accomplir dans les circonstances de faits ».

En d’autres termes, le port du voile ne constitue pas systématiquement un motif de licenciement.

Cependant si le salarié est amené à travailler dans un secteur public et à recevoir du public, il est raisonnable de penser que les règles de laïcité inhérentes au secteur public peuvent permettre à l’employeur d’interdire le port du voile dans son règlement intérieur.

Il faut par ailleurs noter qu’en tout état de cause,  la loi du 11 octobre 2010 applicable à compter du 13 avril 2011 interdit le port du voile intégral dans les lieux publics pour les salariés qui sont amenés à exercer dans un espace public.

Il est vraisemblable que les juridictions prud’homales considèreront que dans le cas du voile intégral, le refus de l’enlever dans un espace public, constitue au moins une cause réelle et sérieuse de licenciement.