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De la nullité des forfaits jours prévus par des accords d’entreprise

Les accords collectifs instituant des forfaits jours se multiplient mais ils ne sont pas toujours le gage de forfaits jours valables.

En ce début d’année 2023, c’est déjà deux accords collectifs d’entreprise prévoyant des forfaits jours qui sont désavoués par la Cour de Cassation.

La motivation de la Cour de Cassation est identique dans les deux cas pour annuler les forfaits jours.( Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 janvier 2023, Pourvoi n° 21-20.912, Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 février 2023, 21-19.512, Inédit)

Elle rappelle :

  • L’existence de textes nationaux et européens garantissant au salarié le droit au repos et à la santé ;
  • L’impossibilité de déroger auxdits textes ;
  • La nécessité pour toute convention de forfait en jours d’être prévue par un accord collectif qui garantit le respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ;
  • La nécessité pour l’accord collectif instaurant le forfait jours de prévoir des dispositions garantissant que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurant une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié ;
  • L’existence d’un suivi effectif et régulier de ces données permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.

Il faut retenir de ces arrêts que les accords collectifs ne doivent pas se contenter de simples déclarations de principe mais prévoir les modalités pratiques d’un suivi effectif et régulier de l’amplitude et la charge de travail du salarié.

TPE-PME : faut-il mettre tous les cadres en forfait jours ?

Dans un précédent article, j’expliquais que les cadres peuvent être soumis à des modalités de temps de travail différentes dont le forfait jours.

Pour autant, il n’est pas toujours possible pour le cadre d’être soumis à un forfait jours.

En effet, il faut rappeler que pour pouvoir soumettre un cadre à un forfait jours, il faut qu’il existe un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche prévoyant les forfaits jours.

En outre, il faut que l’entreprise respecte les conditions posées par cet accord.

Certes, il existe de nombreuses conventions collectives qui ouvrent le champ du forfait jours aux cadres.

Néanmoins, cela ne suffit pas.

Le cadre doit avant tout répondre également aux exigences de l’Article L3121-58 du Code du travail c’est-à-dire :

  • Disposer d’une autonomie dans l’organisation de son emploi du temps ;
  • Et avoir des fonctions qui ne le conduisent pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel il est intégré.

Certains se sont interrogés sur l’existence d’une présomption d’autonomie dans les TPE-PME.

La Cour de Cassation n’y est pas favorable

Elle rappelle que la taille de l’entreprise n’a pas à être prise en compte pour vérifier l’autonomie du salarié. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 janvier 2023, 21-16.825, Publié au bulletin)

De la validité du contrat comportant la reproduction numérique d’une signature manuscrite

Avec la multiplication des procédés permettant la digitalisation des signatures, il est permis de s’interroger sur la valeur juridique d’un acte comportant une signature numérisée.

Un arrêt de la Cour de Cassation de décembre dernier, publié au bulletin de la Haute juridiction, nous apporte une réponse claire :

–> Un contrat de travail à durée déterminée est valable s’il comporte la reproduction scannée d’une signature et non une signature manuscrite.

(Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 décembre 2022, 21-19.841, Publié au bulletin)

Dans cette affaire, un salarié avait été embauché par une société par contrat à durée déterminée saisonnier.

Le lendemain, il prenait acte de la rupture de son contrat de travail prétextant que l’absence de signature manuscrite de son employeur transformait son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, faute de respect du formalisme du CDD.

Pourtant, sur le contrat écrit du salarié, était apposée une image numérisée de la signature de l’employeur.

Le salarié estimait que cela ne pouvait remplacer une signature manuscrite.

Les juridictions du fond ont rejeté le recours du salarié car la signature dont l’image scannée était reproduite sur le contrat de travail permettait, peu importe le procédé technique utilisé, d’identifier clairement son auteur.

Elles ont eu raison.

La Cour de Cassation confirme que l’apposition d’une signature sous forme d’une image numérisée, bien que ne pouvant être assimilée à une signature électronique au sens de l’article 1367 du code civil, ne vaut pas pour autant absence de signature.

(Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 décembre 2022, 21-19.841, Publié au bulletin)

SYNTEC : Du nouveau sur le forfait jours

Depuis 1er avril 2014, il n’y avait pas eu de modification notable des forfaits jours prévu par la modalité 3 de l’accord du 22 juin 1999 .

Néanmoins, dans la pratique, limiter les forfaits jours à la position 3.1 niveau 170 semblait trop restrictif à de nombreuses entreprises.

Par avenant n°2 du 13/12/2022 , les partenaires sociaux ont revu la copie.

Il sera donc possible pour les salariés classés position 2.3 niveau 150 qui l’acceptent de bénéficier d’un forfait jours de 218 jours par an.

Attention cependant, il y aura une compensation financière : le salarié pourra prétendre à une rémunération de 122% du minimum conventionnel de la catégorie 2.3 sur la base d’un forfait annuel de 218 jours travaillés ou sur la base du forfait défini en entreprise.

En clair : un salarié 2.3 pourra bénéficier d’un forfait jours et devra avoir une rémunération minimum de 3 905,22 euros ( 3 201 € X 122%) sur la base de la grille de salaire actuellement applicable.

Pour les salariés en position 3, quelque soit le niveau, la majoration reste actuellement de 120%.

L’accord entrera en vigueur le 1er jour du mois civil suivant la publication au Journal officiel de son arrêté d’extension.

Enfin, il faut noter que les partenaires sociaux ont dans cet avenant du 13 décembre 2022 :

  • clarifié les règles relatives au temps de repos, à l’amplitude des journées de travail, et au suivi de la charge de travail des salariés en forfait jours ;
  • créé 2 modèles d’aide au suivi de la charge de travail et de contrôle du temps de travail ;
  • intégré un article relatif au droit à la déconnexion, applicable à l’ensemble des salariés, quelle que soit la modalité d’organisation du temps de travail qui leur est appliquée.

Je rédigerai, dans les prochains jours, un article sur la question.

Le télétravail et les risques de dépassement de l’amplitude horaire

Parmi les risques psychosociaux liés au télétravail, l’absence de déconnexion, source de surmenage, est aujourd’hui clairement identifiée.

C’est la raison pour laquelle l’amplitude du temps de travail et le non-respect du repos quotidien doivent être une préoccupation majeure du dirigeant d’entreprise et à tout le moins de son DRH.

Il importe peu que le salarié effectue certains jours en télétravail à son domicile et conserve une liberté d’organisation de son temps de travail en fonction de ses déplacements.

L’employeur doit contrôler la durée du travail dans le cadre de son obligation de protection de la santé et de la sécurité de ses salariés.

Un arrêt de la Cour de Cassation du 14 décembre 2022 explique clairement que, même en télétravail, la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur uniquement (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 décembre 2022, 21-18.139, Publié au bulletin).

La Cour de Cassation considère en effet que  ce n’est pas au salarié de prouver qu’il a travaillé en continu entre le premier mail envoyé par lui et le dernier.

C’est à l’employeur de rapporter la preuve que le salarié n’était pas en permanence à son poste de travail et qu’il bénéficiait normalement de ses repos quotidiens.

Cet arrêt du 14 décembre 2022 met clairement en lumière l’obligation de contrôle du temps de travail par l’employeur (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 décembre 2022, 21-18.139, Publié au bulletin).

Dans l’affaire soumise à la Cour de Cassation, un salarié, chef de projet, travaillait deux jours par semaine sur site et trois jours à son domicile en télétravail.

En proie à un surmenage professionnel important qu’il avait confié à son psychiatre, le salarié s’était suicidé.

Ses héritiers ont alors saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir notamment des rappels d’heures supplémentaires mais également des dommages-intérêts pour violation du droit au repos.

Ils considéraient en effet que la méconnaissance par l’employeur du droit au repos minimal quotidien de 11 heures consécutives avait conduit à l’épuisement du salarié et était la cause de son burn-out.

L’employeur réfutait cet argument sans preuve du temps de travail réel du salarié.

La Cour de Cassation ne s’est pas laissée tromper.

Concernant les heures supplémentaires, fidèle à sa jurisprudence, elle a rappelé que la charge de la preuve était partagée mais qu’en l’absence de contrôle du temps de travail par l’employeur, les éléments fournis par le salarié devaient être pris en considération.

Concernant le dépassement des durées journalières et hebdomadaires, la Cour de Cassation rappelle que la charge de la preuve appartient exclusivement à l’employeur.

DU NOUVEAU POUR LE PLAFOND DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (PSS) EN 2023

Je vous avais annoncé l’augmentation imminente du plafond de la sécurité sociale (PSS) pour 2023 dans un article plus spécifique pour les rémunération des salariés de la convention collective des bureaux d’études dite Syntec en modalité 2.

C’est officiel, après 2 années de stagnation, les nouveaux chiffres du PSS sont :

–> Pour le plafond mensuel de la sécurité sociale (PMSS) : 3 666 € ;

–> Pour plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) : 43 992 €.

Il s’agit d’ une augmentation de 6,9 % par rapport au niveau de 2022.

SMIC 2023

En ce début d’année, nous commençons par les nouveaux chiffres du SMIC.

Le nouveau montant du SMIC horaire brut est porté à 11,27 € au 1er janvier 2023 (contre 11,07 € depuis le 1er août 2022).

Le SMIC mensuel brut d’un salarié mensualisé est donc au 1er janvier 2023 de :

– 1 709,28  euros bruts pour un salarié mensualisé soumis à une durée collective du travail de 35 heures hebdomadaires soit 1 353 euros nets.

Vous pouvez retrouver l’historique de 2022 sous ce lien https://carole-vercheyre-grard.fr/de-la-3eme-hausse-du-smic-en-2022/

Tous mes voeux 2023

«  Le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité. »

(Jean Giraudoux)

J’ai choisi cette année de vous présenter mes vœux par cette belle citation qui illustre mon travail.

Je sais que, pour chacun d’entre vous, votre problématique est essentielle et unique.

Cette année encore, j’aurai à cœur avec mon équipe de me montrer digne de votre confiance.

Très belle année à tous !

Carole VERCHEYRE-GRARD (EI)
Avocat
55 av de la Grande Armée
75116 Paris
Tél 01 44 05 19 96

blog en droit du travail : http://carole-vercheyre-grard.fr/

Prévention et sanction du harcèlement moral : la double obligation de l’employeur

Même en l’absence de harcèlement moral avéré, l’employeur peut être condamné pour ne pas avoir mis en place des mesures de prévention.

Si certains en doutaient encore, l’employeur a bien deux obligations distinctes :

La Cour de cassation retient qu’un salarié qui n’a pas réussi à démontrer l’existence d’un harcèlement moral peut engager la responsabilité de l’employeur pour manquement à son obligation de prévention du harcèlement moral (Cour de Cassation Chambre sociale 23 novembre 2022, Pourvoi n° 21-18.951).

Cette obligation de prévention entre dans le champ de l’obligation plus générale de prévention des risques professionnels (article L.4121-2 du code du travail).

Elle fait aussi partie de l’obligation générale de l’employeur de protection des salariés prévue à l’article L.4121-1 du code du travail qui prévoit que l’employeur doit prendre toutes les mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Néanmoins, le code du travail a pris le soin de la rappeler dans un article du code du travail spécifique pour bien montrer son importance. (l’article L.1154-1 du code du travail)

L’employeur doit avoir conscience qu’il doit réaliser des actions spécifiques pour prévenir les risques de harcèlement moral notamment :

  • Mener des actions de formation ;
  • Mettre à jour le règlement intérieur ;
  • Procéder à l’affichage obligatoire relatif au harcèlement ;
  • Procéder à des enquêtes ;
  • Nommer un référent harcèlement moral.

S’il ne le fait pas sa responsabilité pourra être engagée.

Notons que le CSE peut susciter toute initiative qu’il estime utile et proposer des actions de prévention.

Si l’employeur refuse les actions proposées, il doit motiver sa décision (article L2312-9 du code du travail).

Salarié itinérant : Que faire quand le temps de trajet est du temps de travail ?

Quand commence le temps de travail d’un commercial itinérant ?

Lorsqu’il part de son domicile ou lorsqu’il arrive chez son premier client ?

Cette question opposait ces dernières années notre jurisprudence nationale et la jurisprudence européenne.

En effet, depuis 2015 la Cour de justice de l’Union européenne considère que « les déplacements que les travailleurs sans lieu de travail fixe ou habituel effectuent entre leur domicile et le premier ou le dernier client de la journée constituent du temps de travail ».

Tandis que depuis 2018, la Cour de cassation adoptait clairement la position inverse en retenant que le temps de déplacement quotidien entre le domicile et les sites des premier et dernier clients n’est pas payé en temps de travail effectif, mais doit faire l’objet d’une contrepartie quand il dépasse le temps normal de trajet.

Bref, notre jurisprudence nationale était en contradiction avec la jurisprudence européenne qui aurait dû s’imposer en raison de la hiérarchie des normes.

Nous étions nombreux à solliciter devant les juges du fond l’application de la position européenne en rappelant que très souvent, les commerciaux itinérants effectuent un important travail administratif depuis leur véhicule notamment en passant de nombreux appels téléphoniques pendant les temps de trajet, faute de disposer de bureaux.

Certaines juridictions de fond nous donnaient raison mais la Cour de cassation semblait ne pas vouloir capituler, soutenant que le droit national pouvait déroger à la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 relative à l’aménagement du temps de travail sur le temps de trajet.

La Cour de justice de l’Union européenne a maintenu son cap et a réaffirmé en 2021 que le droit national ne pouvait pas transiger avec les notions de « temps de travail effectif » et de « période de repos ». (CJUE 9 mars 2021, aff. n° C-344/19, § 30)

La Cour de cassation vient de rendre les armes. (Cour de Cassation, Chambre sociale Cass. soc. 23 novembre 2022, n° 20-21924 FPBR)

Désormais, les temps de déplacement entre le domicile et le lieu du premier rendez-vous ainsi qu’entre le dernier lieu de rendez-vous et le domicile peuvent être considérés comme du temps de travail effectif si le salarié démontre qu’il devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles pendant ses temps de déplacement.