Tous les articles par Carole Vercheyre-Grard

Me Carole VERCHEYRE-GRARD est titulaire d’un DEA de droit des affaires et droit économique de l’université Paris II (Assas) de 1995. Elle possède une double compétence en droit des affaires et droit du travail. Sa connaissance du milieu judiciaire, lui permet une approche pragmatique des contentieux devant les Tribunaux de Commerce et le Conseil de Prud’hommes.

Quand le salarié dispose d’une messagerie personnelle et d’une messagerie professionnelle distinctes

L’employeur a-t-il le droit de lire un mail issu de la messagerie personnelle du salarié si cette dernière était consultable sur l’ordinateur professionnel ?

IMG_20140506_101050La Cour de Cassation répond par la négative  si les messages sont issues d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle.(Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 7 avril 2016, 14-27.949, Inédit)

Voici son argumentaire : 

« Vu l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble l’article 9 du code civil et l’article L. 1121-1 du code du travail ;

Attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis ou reçus par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail ;

Attendu que pour rejeter la demande de dommages-intérêts présentée par la salariée au titre d’une violation du secret des correspondances, l’arrêt retient que le courriel litigieux se trouvait sur une messagerie électronique figurant sur l’ordinateur professionnel mis à la disposition de la salariée situé sur son lieu de travail et que l’employeur pouvait y accéder dans l’intérêt de l’entreprise et en raison de l’absence prolongée de la salariée, le caractère personnel du message ne ressortant ni de son intitulé ni de son contenu ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher ainsi qu’elle y était invitée, si le message électronique litigieux n’était pas issu d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité et s’il n’était pas dès lors couvert par le secret des correspondances, la cour d’appel a privé sa décision de base légale « .

(Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 7 avril 2016, 14-27.949, Inédit)

Cette décision est à étudier à la lumière de la décision de la CEDH du 12 janvier 2016 que j’ai précédemment commentée.

Je retiendrai à ce stade de l’évolution des jurisprudences de la Haute Juridiction Française et de la CEDH que sauf à opposer les décisions, l’employeur peut montrer qu’il y a trop des mails personnels sur le temps de travail mais ne doit pas les lire ou se servir de leur contenu s’ils sont sur une messagerie personnelle distincte.

Tout cela me semble bien difficile à mettre en oeuvre  !!!….

L’employeur doit utiliser son pouvoir disciplinaire de manière loyale et non abusive

Avoir du pouvoir donne des droits mais aussi des devoirs comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation.

thSi l’employeur a le droit d’utiliser son pouvoir disciplinaire pour sanctionner une faute de son salarié, ce pouvoir ne doit pas être détourné de sa finalité.

En d’autres termes, l’employeur doit utiliser son pouvoir disciplinaire de manière loyale et non abusive. 

La Cour de cassation rappelle en effet que  l’employeur n’a pas le droit d’user délibérément de son pouvoir disciplinaire non pour sanctionner un manquement réel du salarié mais pour exercer des pressions.

En effet, dans ce cas l’employeur exerce son pouvoir disciplinaire de manière abusive et déloyale…

Ces agissements, lorsqu’ils ont des répercussions sur la santé du salarié, peuvent constituer un manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail et valider une prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 7 avril 2016, 14-24.388, Inédit)

Traiter son salarié de « PD » est une injure mais ne serait pas discriminatoire

Screenshot_2016-04-08-22-13-45_resizedLe Conseil de prud’hommes de PARIS, section commerce chambre 4,  a rendu une décision le 16 décembre 2015 qui a interloqué bon nombre d’avocats pourtant familiers de la procédure prud’homale.

Dans cette affaire, un salarié, Monsieur X  travaillant dans un salon de coiffure et qui était en période d’essai , informe son employeur qu’il est malade et se rend chez un médecin.

Le jour suivant, il reçoit un SMS de sa manager qui ne lui était manifestement pas destiné et qui disait :  » Je ne garde pas (Monsieur X) je le préviens demain on fera avec des itinérants en attendant je ne le sens pas ce mec : c’est un PD, ils font tous des coups de putes« .

Dès le lendemain Monsieur X recevait une lettre de rupture de sa période d’essai.

Monsieur X a saisi le Conseil de prud’hommes de PARIS et le défenseur des droits en estimant qu’il y avait eu une discrimination envers lui du fait de son orientation sexuelle et de son état de santé et que le terme de « PD » était injurieux.

Le Conseil de Prud’hommes de PARIS a reconnu l’existence de l’injure et a condamné l’employeur à 5.000 euros pour préjudice moral.

Mais il a refusé de retenir la discrimination par une motivation difficilement acceptable.

Je vous livre la motivation : « En se plaçant dans le milieu de la coiffure, le Conseil considère que le terme de « PD » employée par la manager ne peut être retenu comme propos homophobe car il est reconnu que  les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles, notamment dans les salons de coiffure féminins, sans que cela ne pose de problème. »

Je serai curieuse de lire vos réactions sur la motivation de cette décision qui je l’espère, sera  infirmée par la Cour d’appel de PARIS  !

SYNTEC : la période d’essai des cadres

Attention, l’article 7 de la convention collective SYNTEC quant à la période d’essai des cadres est obsolète depuis l’entrée en vigueur des dispositions de la loi du 25 juin 2008.

IMG_20140331_121154La Cour de Cassation rappelle en effet :

« l’article 7 de la convention collective applicable, conclue antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 25 juin 2008, instaure une durée maximale de la période d’essai, renouvellement compris, de six mois à laquelle la durée maximale de huit mois prévue à l’article L. 1221-21 du code du travail s’est substituée à compter du 30 juin 2009.«  (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 31 mars 2016, 14-29.184, Publié au bulletin)

Voici un petit tableau permettant de connaitre la période d’essai en fonction de la classification du salarié dans la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec .

 OUVRIERS ET COLLABORATEURS  AGENTS DE MAITRISE ET TECHNICIENS INGENIEURS ET CADRES
2 mois renouvelable 3 mois renouvelable

 

4 mois renouvelable

 

En outre, il convient de rappeler que tant l’employeur que le salarié doivent respecter un délai de prévenance  minimum pour mettre un terme à la période d’essai.

CHSCT : Les frais d’une expertise annulée par le Juge

Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) peut faire appel à un expert lorsqu’un risque grave est constaté dans l’établissement ou en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (article L. 4614-12 du code du travail).

Le code du travail prévoit que les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur et que l’employeur qui entend contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût, l’étendue ou le délai de l’expertise doit saisir le juge judiciaire.

Cela est assez juste car le CHSCT n’a pas de budget propre et ne pourrait donc s’en acquitter.

Cette règle de la prise en charge par l’employeur est posée par l’ art. L. 4614-13 du code du travail.

Or le  Conseil constitutionnel a considéré cette dernière disposition anticonstitutionnelle au motif que l’application des dispositions légales conduit à faire supporter par l’employeur la charge des frais de l’expertise ordonnée par le CHSCT même quand il a obtenu l’annulation de la décision du CHSCT  (Par décision 2015-500 QPC du 27 novembre 2015 ).

Or jusqu’à présent, la Cour de cassation imposait à l’employeur la prise en charge des frais d’expertise  même si, à la suite d’une contestation de la nécessité de l’expertise par l’employeur, la décision d’y recourir était annulée par le juge judiciaire.

Il faut noter que le recours de l’employeur n’a pas un caractère suspensif et que l’expertise faite en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail est réalisée dans le délai d’un mois en application de l’article R. 4614-18 du code du travail, de sorte que l’expertise a pu être réalisée en tout ou partie au moment où le juge statue.

Qui des procédures en cours ?

La Cour de Cassation vient de répondre  en retenant  que l’employeur doit toujours payer les frais d’expertise et ce jusqu’à ce que le législateur règle la question. (Arrêt n° 628 du 15 mars 2016 (14-16.242) – Cour de cassation – Chambre sociale – ECLI:FR:CCASS:2016:SO00628)

Bien que jugé anticonstitutionnel, l’article L. 4614-13 du code du travail, mettant à la charge de l’employeur dans tous les cas,  les frais d’expertise réclamée par les CHSCT, continuera à s’appliquer en attente d’une décision du législateur.

En effet, dans la note explicative de l’arrêt, il est précisé que la Cour de Cassation a retenu que le Conseil constitutionnel « a reporté au 1er janvier 2017 la date de cette abrogation au motif que l’abrogation immédiate de ces textes aurait pour effet de faire disparaître toute voie de droit permettant de contester une décision de recourir à un expert ainsi que toute règle relative à la prise en charge des frais d’expertise.

Il s’en déduit que ces textes tels qu’interprétés de façon constante par la Cour de cassation constituent le droit positif applicable jusqu’à ce que le législateur remédie à l’inconstitutionnalité constatée et au plus tard jusqu’au 1er janvier 2017.

Par suite, méconnaît la portée de l’article 62 de la Constitution et l’article L. 4614-13 du code du travail, l’arrêt qui rejette la demande de l’expert tendant à faire supporter par l’employeur le coût de l’expertise dont l’annulation a été ultérieurement prononcée. »

 

SYNTEC : Le salarié soumis à un horaire prédéfini de 37 heures hebdomadaires

mis à jour le 26 avril 2022

  • Avant la loi du 8 aout 2016

De nombreux salariés relevant de la  convention collective Syntec (convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils) m’interrogent régulièrement sur la modalité du temps de travail qu’ils doivent respecter lorsque leur contrat de travail prévoit 37 heures de travail par semaine sans autre explication.

IMG_20140331_130251Avant de pouvoir répondre à cette question, il est important de vérifier l’existence ou non d’un accord d’entreprise qui prévoirait des modalités particulières.

En l’absence d’accord d’entreprise valable, seul l’accord du 22 juin 1999 est applicable.

Dans ce cas,  la Cour de Cassation retient que le salarié est soumis alors à la modalité 1 (article 2 de l’accord) dite standard. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 février 2016, 14-18.278, Inédit)

Voici l’attendu de la Cour de Cassation : « la cour d’appel, qui a constaté que le salarié était soumis à l’horaire prédéfini de 37 heures hebdomadaires, en a exactement déduit qu’il relevait des modalités standard d’aménagement du temps de travail « .

Pour mémoire, la modalité standard prévoit que, sauf dispositions particulières négociées par accord d’entreprise, les salariés concernés par la modalité standard ont une durée hebdomadaire de travail de 35 heures, compte tenu des modalités d’aménagement du temps de travail évoquées précédemment.

La réduction de l’horaire de travail effectif doit être telle que leur horaire annuel ne puisse dépasser l’horaire annuel normal.

Quelles sont les conséquences pratiques de l’application de cette modalité ?

Il faut en retenir deux :

– le bulletin de paie doit faire apparaître 151,67 heures par mois et les deux heures par semaines supplémentaires en heures supplémentaires majorées à 25% ;

– le salarié doit avoir des jours de RTT afin de que de ne pas dépasser 1607 heures …

  • Depuis la loi du 8 aout 2016

    Tout salarié peut conclure une convention individuelle de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois.

    Peuvent conclure une convention individuelle de forfait en heures sur l’année, dans la limite du nombre d’heures fixé en application du 3° du I de l’article L. 3121-64 :

    1° Les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;

    2° Les salariés qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps.

    La rémunération du salarié ayant conclu une convention individuelle de forfait en heures est au moins égale à la rémunération minimale applicable dans l’entreprise pour le nombre d’heures correspondant à son forfait, augmentée, le cas échéant, si le forfait inclut des heures supplémentaires, des majorations prévues aux articles L. 3121-28L. 3121-33 et L. 3121-36.

 

De la qualification des voyages de détente avec des clients

La frontière entre le travail et le plaisir est souvent ténue surtout lors des voyages d’entreprise auxquels sont conviés tant les clients que les salariés.

Souvent ces voyages dits « d’agrément »  ne sont pas officiellement imposés aux salariés mais il est clair qu’ils sont souhaités par l’employeur pour entretenir la relation commerciale.

IMG_20140506_101304La Cour de Cassation a été interrogée afin de donner sa position sur l’existence ou non d’un temps de travail effectif pendant lesdits voyages.

Après avoir rappelé que le  travail effectif est  le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, la haute juridiction pose les principes du voyage d’agrément organisé par l’employeur et qui n’a pas à être rémunéré. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 février 2016, 14-14.213, Inédit )

Le salarié  n’effectue pas du travail effectif si  :

– il n’avait pas l’obligation de participer aux voyages d’accompagnement organisés chaque année à l’étranger par son employeur ;

–  au cours de ceux-ci, il n’avait aucune mission particulière d’encadrement ou de prise en charge des clients ;

– il était libre de se faire accompagner de son conjoint ;

– il pouvait vaquer durant ces voyages à des occupations personnelles sans se trouver à la disposition de l’employeur.

Cette décision doit être approuvée quant à  sa motivation juridique même si elle ne convainc pas vraiment sur la réelle possibilité pour le salarié de se soustraire à ce voyage.

Faute lourde : le droit constitutionnel à l’indemnité de congés payés

mis à jour 31 juillet 2018

Lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n’a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congés payés non pris au moment de la rupture du contrat de travail.

IMG00176-20100722-1704L’article  L.3141-26 du code du travail exclut les salariés licenciés pour faute lourde de ce droit à une indemnité compensatrice de congés payés.

Or cette disposition vient d’être déclarée inconstitutionnelle par Haute juridiction (Conseil Constitutionnel décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016).

Désormais, le salarié licencié pour faute lourde pourra prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés non pris au moment de la rupture du contrat de travail.

Il n’y aura donc plus de différence avec la faute grave….la qualification de faute lourde semble amenée à disparaître….

( voir en ce sens Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 juillet 2018, 15-19.597, Inédit)

Bureaux d’études : la valeur d’un accord d’entreprise pour le forfait jours

Il est possible de prévoir par un accord d’entreprise un forfait jours.

Cependant pour que ce forfait jours soit valable, il faut qu’il assure la protection de la sécurité et de la santé du salarié.

La Cour de Cassation rappelle que quelque soit la nature d’un accord collectif, ce dernier doit assurer la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 27 janvier 2016, 14-14.293, Inédit)

A défaut l’accord d’entreprise sera sans effet sur cette question et le forfait jours annulé.

C’est la même solution que celle qui avait été retenue pour l’ancien article 4 de l’accord du 22 juin 1999.

SYNTEC : Prime de vacances et indemnité compensatrice de congés payés

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Je suis souvent sollicitée sur la prime de vacances de la convention collective SYNTEC.

Pour mémoire, l’article 31 de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseil, dite SYNTEC, prévoit que l’ensemble des salariés bénéficient d’une prime de vacances d’un montant au moins égal à 10 % de la masse globale des indemnités de congés payés prévues par la convention collective de l’ensemble des salariés.

La Cour de Cassation a été interrogée récemment sur le fait de savoir si la masse globale des indemnités de congés payés devait inclure les indemnités compensatrice de congés payés c’est à dire les sommes versées au titre des congés payés non  pris par les salariés quittant l’entreprise.

La Cour de Cassation fait une interprétation restrictive de l’article 31 de la convention collective SYNTEC en décidant : « les indemnités compensatrices de congés payés ne devaient pas être intégrées dans la base de calcul de cette prime » (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 27 janvier 2016, 13-26.761, Inédit)