Tous les articles par Carole Vercheyre-Grard

Me Carole VERCHEYRE-GRARD est titulaire d’un DEA de droit des affaires et droit économique de l’université Paris II (Assas) de 1995. Elle possède une double compétence en droit des affaires et droit du travail. Sa connaissance du milieu judiciaire, lui permet une approche pragmatique des contentieux devant les Tribunaux de Commerce et le Conseil de Prud’hommes.

Obligation de transparence de l’employeur dans le calcul de la part variable du salaire

L’employeur peut–il cacher au salarié un des paramètres de fixation de sa rémunération variable sous le prétexte de la confidentialité ?

C’est cette question qui a été posée à la haute juridiction par des salariés d’une société de télécommunication réclamant un complément de prime.

Dans cette affaire, la rémunération variable des salariés était fixée en fonction d’objectifs en application d’un engagement unilatéral de l’employeur.

Les salariés expliquaient qu’ils n’avaient pas eu connaissance des objectifs et des modalités de fixation d’un des paramètres propres à l’entreprise dénommé BRM (business result multiplier).

L’employeur répondait qu’il ne pouvait pas transmettre cet indicateur BRM car selon lui, c’était une donnée discrétionnaire qu’il convenait de garder confidentielle compte-tenu du secteur d’activité concurrentiel.

La Cour de Cassation n’est absolument pas d’accord avec la position de l’employeur comme elle le précise dans un arrêt du 27 septembre 2023 . (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 27 septembre 2023, 22-13.083, Inédit )

L’employeur doit impérativement mettre le salarié en capacité de vérifier le calcul de sa prime sur objectifs et ce, dès le début de l’exercice.

Dès lors, il n’est pas possible de garder secrète une des données permettant au salarié de connaître le calcul de sa rémunération variable.

Cette solution doit être approuvée.

Il existe encore trop de contrats de travail où l’employeur fait référence à des indices absolument invérifiables ou des marges non communiquées.

En congé maladie, le salarié acquiert des droits à congés payés

Acquérir des congés payés, lorsque l’on est malade est désormais un droit.

La Cour de cassation a, pendant de nombreuses années, résisté à cette solution en refusant d’ouvrir le droit à congés payés aux salariés en maladie en s’appuyant :

  • sur l’article L3141-5 du Code du travail qui considère que l’arrêt maladie simple ne constitue pas du travail effectif ;
  • et sur les dispositions de l’article L. 3141-3 du Code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l’exécution d’un travail effectif .

Cette solution était clairement contraire à la directive européenne 2003/88/CE.

Il aura fallu 20 ans pour que la Cour de Cassation s’incline après les premières condamnations par les juridictions administratives françaises de l’Etat pour non-application de la directive.

La Cour de cassation juge désormais, en substance, qu’un salarié acquiert des droits à congés payés pendant un arrêt de travail pour maladie non professionnelle (Cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17340 FPBR).

En matière d’accident du travail et de maladie professionnelle, l’assimilation à du travail effectif pour l’acquisition des congés payés vaut pour toute la durée de l’arrêt de travail et n’est plus limitée à la première année (Cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17638 FPBR).

Attention,  la Cour de cassation a précisé, dans la notice jointe à ces arrêts, que ces jurisprudences valent pour l’intégralité des droits à congés payés, sans faire de distinction entre les 4 semaines minimales garanties par la directive de 2003 et les droits issus de dispositions purement nationales, telles la 5e semaine légale de congés payés et les congés payés d’origine conventionnelle.

SYNTEC – CINOV – BETIC : L’assiette de la prime de vacances

L’assiette de la prime de vacances doit-elle exclure les indemnités de congés payés versées aux salariés de l’entreprise qui ont quitté celle-ci en cours d’exercice ?

C’est cette question qui a été posée récemment à la Cour de Cassation par l’entreprise Sopra Steria Group qui avait fait le choix d’exclure de l’assiette les congés payés des salariés ayant quitté la société durant la période de référence.

Les articles de la nouvelle ou de l’ancienne convention collective ne répondent pas directement à cette question.

–> L’article 7-3 de la nouvelle convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseil, dite SYNTEC ou CINOV ou BETIC prévoit : « L’employeur réserve chaque année l’équivalent d’au moins 10 % de la masse globale des indemnités de congés payés acquis prévus par la convention collective, au paiement d’une prime de vacances à tous les salariés de l’entreprise. »

–> L’ancien article 31 de la convention collective prévoyait : « L’ensemble des salariés bénéficie d’une prime de vacances d’un montant au moins égal à 10 % de la masse globale des indemnités de congés payés prévus par la convention collective de l’ensemble des salariés. »

La Cour de Cassation a tranché pour la solution la plus large :

« L’assiette de calcul de la prime de vacances doit être calculée en intégrant les indemnités de congés payés versées aux salariés ayant quitté la société durant la période de référence » (Cour de Cassation chambre sociale 7 juin 2023 Pourvoi n° 21-25.955)

On retiendra l’explication de la Cour de Cassation sur sa solution :

« Une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c’est-à-dire, d’abord, en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d’un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l’objectif social du texte.

Aux termes du texte susvisé, l’ensemble des salariés bénéficie d’une prime de vacances d’un montant au moins égal à 10 % de la masse globale des indemnités de congés payés prévus par la convention collective de l’ensemble des salariés.

Il en résulte que cette prime de vacances est calculée sur l’ensemble des indemnités de congés payés versées aux salariés de l’entreprise durant la période de référence, peu important qu’ils aient quitté l’entreprise en cours d’exercice. »

SYNTEC – CINOV – BETIC : Prime de vacances et 13ème mois contractuel

L’article 7.3 (ancien article 31) de la convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseil, dite SYNTEC ou CINOV ou BETIC, prévoit le versement d’une prime de vacances qui fait l’objet d’un abondant contentieux.

Plusieurs arrêts de la Cour de Cassation du 21 juin 2023 me permettent de rappeler que lorsque le treizième mois constitue, non une prime, mais une modalité de paiement du salaire, son versement ne saurait valoir prime de vacances, au sens de la convention collective précitée. (21 juin 2023 Cour de cassation Chambre sociale Pourvoi n° 21-21.150,Pourvoi n° 21-21.151, Pourvoi n° 21-21.152)

Attention, la solution n’est pas identique si l’employeur a précisé dans le contrat de travail que le 13eme mois incluait la prime de vacances. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 avril 2019, 18-10.014, Inédit ; Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 19 mai 2021, 20-16.290, Inédit)

Il s’agit d’une jurisprudence constante depuis 2011.

(Cour de cassation chambre sociale 22 septembre 2011 N° de pourvoi: 10-10674 Non publié au bulletin Cassation partielle) 

Des limites de la clause de mobilité

La clause de mobilité insérée dans un contrat de travail est une question qui donne lieu à un abondant contentieux.

Cette clause est assez contraignante pour le salarié car elle le conduit à accepter à l’avance que son employeur puisse modifier unilatéralement son lieu de travail.

C’est la raison pour laquelle la jurisprudence subordonne la validité de la clause de mobilité à la fixation d’une zone géographique précisément délimitée.

Néanmoins, cela n’offre pas un blanc-seing à l’employeur pour toute mutation dans cette zone.

« En effet nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Fort heureusement, la Cour de Cassation apporte des limites au pouvoir de l’employeur d’utiliser cette clause.

Ces limites sont de deux ordres :

  • la mauvaise foi de l’employeur dans l’application de la clause c’est-à-dire l’absence d’intérêt de l’entreprise
  • l’atteinte disproportionnée et injustifiée au droit du salarié à une vie personnelle et familiale.

Récemment la Cour de Cassation a donné une illustration d’une mutation de l’employeur où ces deux questions se sont posées. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 28 juin 2023, 22-11.227, Inédit)

Dans cette affaire,un salarié employé d’une société de bâtiment en qualité d’ingénieur principal avait reçu de son employeur une mutation pour Cuba puis le Nigéria en application de sa clause de mobilité.

Le salarié avait refusé ces deux mobilités et avait été licencié.

Il avait saisi la juridiction prud’homale pour demander, notamment, une indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il estimait que la demande de mobilité de l’employeur était une atteinte excessive à sa vie personnelle et familiale, au regard des nécessités de scolarisation de ses enfants.

Dans un premier temps la Cour de Cassation constate l’absence de mauvaise foi de l’employeur en relevant que l’entreprise avait des besoins spécifiques à Cuba et le Nigéria et que le salarié disposait des compétences techniques pour assumer les missions attachées à ce poste consistant à achever la bonne fin des chantiers en cours.

Mais dans un second temps, elle relève que l’absence de mauvaise foi de l’employeur ne suffit pas.

En effet, il faut vérifier si la mise en œuvre de la clause de mobilité ne portait pas atteinte aux droits du salarié à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché.

L’arrêt de la Cour d’Appel a été cassé car la juridiction du second degré n’avait étudié l’atteinte aux droits du salarié à une vie personnelle et familiale.

Nullité des forfaits jours dans l’automobile

Encore, une convention collective qui ne passe pas l’épreuve de la validité de la convention des forfaits jours!

La Cour de Cassation dans une décision du 5 juillet 2023 invalide les conventions de forfaits jours qui visent uniquement la convention collective du commerce et de la réparation de l’automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 juillet 2023, 21-23.222, Publié au bulletin)

La Cour de Cassation retient que  les dispositions de ladite convention collective : »ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié. »

Relevons dans ce dossier que le salarié réclamait :

  • qu’il soit jugé que la convention de forfait en jours était privée d’effet,
  • la résiliation judiciaire de son contrat de travail
  • la condamnation de ce dernier au paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaires pour heures supplémentaires, de la contrepartie obligatoire en repos, des congés payés, d’indemnité pour travail dissimulé et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Nullité des forfaits jours des personnels des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire

Il reste encore des branches qui n’ont toujours pas mis à jour leurs accords sur les forfaits jours malgré la jurisprudence très claire de la Cour de Cassation.

C’est le cas de celle du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire.

L’article 2.8.3. de l’accord du 11 avril 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail, attaché à la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999 n’est pas de nature à garantir aux salariés en forfait jours que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé.

Tous les contrats en forfaits jours qui visent simplement la convention collective du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999 sont donc nuls. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 juillet 2023, 21-23.387, Publié au bulletin)

Cela me permet de préciser que les conventions de forfait jours conclues sur la base d’accords collectifs incomplets ne seront plus frappées de nullité ni privées d’effet si l’employeur a mis en place les mesures supplétives prévues à l’article L. 3121-65 du Code du travail :

« 1° L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

 2° L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

 3° L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération. »

De l’enregistrement de l’entretien préalable au licenciement

Avec le développement des moyens de technologie moderne, enregistrer l’entretien préalable au licenciement à l’insu de son employeur est tellement facile que cette pratique se répand comme une trainée de poudre.

Que risque le salarié ou l’employeur qui s’adonne à cette pratique ?

L’article 226-1 du code pénal punit sévèrement les enregistrements faits à l’insu de leur auteur dans la mesure où ils portent atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui.

Mais la Cour de Cassation en sa chambre criminelle considère que l’entretien préalable au licenciement entre dans le cadre de la seule activité professionnelle et non de la vie privée.

Aussi enregistrer ledit entretien à l’insu de son employeur n’est pas une infraction pénale. (Cour de Cassation. crim. 12 avril 2023, n° 22-83581 FD).

Il n’y a donc pas de risque en l’état des textes et de la jurisprudence à le faire.

Pour autant cela sert-il à quelque chose ?

Ce procédé est déloyal et la jurisprudence rejette en principe ce mode de preuve.

Cela repose sur le fait que l’article 9 du Code de procédure civile rend irrecevable tout ce qui est obtenu au moyen de stratagèmes variés à l’insu des personnes non informées de l’existence du moyen de contrôle ou d’enregistrement sonore ou visuel.

Un enregistrement pirate de l’entretien préalable contrevient clairement aux règles du procès équitable au sens des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La Haute Juridiction a toujours jugé fermement que  « l’illicéité d’un moyen de preuve doit entraîner son rejet des débats ». 

Mais ces derniers temps, sa position sur le droit de la preuve semble s’assouplir puisque la Cour de Cassation admet dans certaines décisions des preuves « déloyales » lorsque cette preuve apparaît indispensable à l’exercice d’un droit et que l’atteinte déloyale est proportionnée au but poursuivi….

A suivre donc

La présomption d’accident de travail et le télétravail

Flattening the curve: a happy woman sitting at home and talking to her friends or colleagues in a meeting using her laptop computer.

La jurisprudence retient que toute lésion survenue au temps et lieu de travail est présumée trouver sa cause dans le travail, sauf s’il est rapporté la preuve que cette lésion a une origine totalement étrangère au travail.

C’est une présomption simple d’imputabilité qui s’appuie sur l’article L 411-1 du Code de sécurité sociale.

Lorsque l’accident survient hors temps et lieu de travail, la présomption d’imputabilité est simplement renversée et oblige le salarié à établir que c’est le travail qui est à l’origine de l’accident. 

Avec le développement du télétravail, un contentieux commence à naître sur l’imputabilité de certains accidents.

Deux arrêts rendus par les cours d’appel de Saint-Denis de la Réunion et d’Amiens, les 4 mai et 15 juin 2023 nous apportent des premières illustrations sur des déclarations d’accident de travail par des salariés en télétravail dans lesquels la présomption d’imputabilité ne joue pas. (Cour d’appel d’Amiens 15 juin 2023 RG n° 22/00474 ; Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion 4 mai 2023 RG n° 22/00884 )

La première décision concernait une salariée qui télétravaillait dans un bureau aménagé au sous-sol de son domicile.

Celle-ci était tombée et fracturée le coude dans la minute qui a suivi la fin de sa journée de travail.

La présomption d’imputabilité n’a pas été retenue car la salariée avait déjà effectué son pointage de fin de journée lorsque son accident est survenu.

Elle n’était donc plus sous l’autorité de son employeur

La seconde décision concernait un salarié en télétravail qui, après avoir perdu sa connexion Internet, est sorti devant chez lui afin de discuter avec le conducteur du camion qui venait de heurter le panneau téléphonique lui permettant d’avoir Internet.Un second véhicule a, de nouveau, tiré sur les câbles distendus de sorte que le poteau est tombé sur le salarié.

La présomption d’imputabilité n’a pas été retenue car l’accident est survenu en dehors du lieu de travail soit sur la voie publique.

La Cour d’Appel a jugé qu’en sortant sur la voie publique, le salarié a interrompu sa mission pour un motif personnel et n’était plus sous l’autorité de son employeur.

Ces deux décisions mettent en exergue que l’accident survenu en dehors des heures ou du lieu de télétravail déclarés n’est pas présumé être un accident du travail.

Le salarié doit donc démontrer qu’il existe un lien entre son accident et son travail. À défaut, l’accident du travail ne sera pas retenu.

Les congés payés sous le feu des projecteurs

Mise à jour 2 août 2023

La Cour de Cassation dans son rapport annuel 2013 a indiqué que le législateur doit prendre des dispositions légales pour réformer les congés payés.

Depuis rien n’a été fait sur les axes essentiels.

IMG_2097Plusieurs axes sont à réformer principalement en raison du droit communautaire qui impose un minimum de 4 semaines de congés payés par an.

Voici les principaux points de notre droit français qui sont contraires au droit européen.

  •  les reports ou pertes des droits à congés payés issus du droit national

La Cour de Cassation a jugé que, lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés annuels au cours de l’année prévue par le code du travail ou par une convention collective, en raison d’absences liées à un accident du travail ou à une maladie professionnelle ou non,  son droit à congé est reporté.

Elle ne s’est pas prononcée sur le sort des congés supérieurs aux 4 semaines communautaires.

La Haute Juridiction aimerait que le législateur prévoit que ce droit à report de congé s’applique non seulement pour les 4 semaines prévues par le droit communautaire mais également pour tous les congés payés de droit interneContinuer la lecture de Les congés payés sous le feu des projecteurs