Me Carole VERCHEYRE-GRARD est titulaire d’un DEA de droit des affaires et droit économique de l’université Paris II (Assas) de 1995. Elle possède une double compétence en droit des affaires et droit du travail.
Sa connaissance du milieu judiciaire, lui permet une approche pragmatique des contentieux devant les Tribunaux de Commerce et le Conseil de Prud’hommes.
Cette obligation de prévention entre dans le champ de l’obligation plus générale de prévention des risques professionnels (article L.4121-2 du code du travail).
Elle fait aussi partie de l’obligation générale de l’employeur de protection des salariés prévue à l’article L.4121-1 du code du travail qui prévoit que l’employeur doit prendre toutes les mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Néanmoins, le code du travail a pris le soin de la rappeler dans un article du code du travail spécifique pour bien montrer son importance. (l’article L.1154-1 du code du travail)
L’employeur doit avoir conscience qu’il doit réaliser des actions spécifiques pour prévenir les risques de harcèlement moral notamment :
Mener des actions de formation ;
Mettre à jour le règlement intérieur ;
Procéder à l’affichage obligatoire relatif au harcèlement ;
Procéder à des enquêtes ;
Nommer un référent harcèlement moral.
S’il ne le fait pas sa responsabilité pourra être engagée.
Notons que le CSE peut susciter toute initiative qu’il estime utile et proposer des actions de prévention.
Quand commence le temps de travail d’un commercial itinérant ?
Lorsqu’il part de son domicile ou lorsqu’il arrive chez son premier client ?
Cette question opposait ces dernières années notre jurisprudence nationale et la jurisprudence européenne.
En effet, depuis 2015 la Cour de justice de l’Union européenne considère que « les déplacements que les travailleurs sans lieu de travail fixe ou habituel effectuent entre leur domicile et le premier ou le dernier client de la journée constituent du temps de travail ».
Tandis que depuis 2018, la Cour de cassation adoptait clairement la position inverse en retenant que le temps de déplacement quotidien entre le domicile et les sites des premier et dernier clients n’est pas payé en temps de travail effectif, mais doit faire l’objet d’une contrepartie quand il dépasse le temps normal de trajet.
Bref, notre jurisprudence nationale était en contradiction avec la jurisprudence européenne qui aurait dû s’imposer en raison de la hiérarchie des normes.
Nous étions nombreux à solliciter devant les juges du fond l’application de la position européenne en rappelant que très souvent, les commerciaux itinérants effectuent un important travail administratif depuis leur véhicule notamment en passant de nombreux appels téléphoniques pendant les temps de trajet, faute de disposer de bureaux.
Certaines juridictions de fond nous donnaient raison mais la Cour de cassation semblait ne pas vouloir capituler, soutenant que le droit national pouvait déroger à la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 relative à l’aménagement du temps de travail sur le temps de trajet.
La Cour de justice de l’Union européenne a maintenu son cap et a réaffirmé en 2021 que le droit national ne pouvait pas transiger avec les notions de « temps de travail effectif » et de « période de repos ». (CJUE 9 mars 2021, aff. n° C-344/19, § 30)
La Cour de cassation vient de rendre les armes. (Cour de Cassation, Chambre sociale Cass. soc. 23 novembre 2022, n° 20-21924 FPBR)
Désormais, les temps de déplacement entre le domicile et le lieu du premier rendez-vous ainsi qu’entre le dernier lieu de rendez-vous et le domicile peuvent être considérés comme du temps de travail effectif si le salarié démontre qu’il devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles pendant ses temps de déplacement.
Il devient de plus en plus difficile de calculer les conséquences de la nullité du forfait d’heures issue de la modalité 2 de l’article 3 de l’accord du 22 juin 1999. (convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils, société de conseil dite SYNTEC. (N° 3018))
La Cour de Cassation rappelle maintenant depuis plusieurs années que les salariés qui ont signé un contrat de travail les soumettant à la modalité 2 et qui ne bénéficient pas du plafond annuel de sécurité sociale (PASS) peuvent soulever la nullité de la convention de forfait et réclamer le paiement des heures supplémentaires.
Pour autant, même après avoir prononcé la nullité, il est difficile de calculer les rappels de salaire dus au salarié.
En effet, après avoir annulé le forfait d’heures, il restait deux particularités de la modalité 2 dont il faut tenir compte :
La première : les jours de repos supplémentaires. En effet, la modalité 2 octroie au salarié des jours de repos supplémentaires car elle fixe un plafond de jours travaillés dans l’année de 218 à 220 jours ;
La seconde : les heures entre 35 heures et 38h30 qui sont incluses dans le forfait d’heures, qu’elles soient réalisées ou non.
En pratique, lorsque la convention de forfait d’heures de la modalité 2 est annulée, il faut considérer que le salarié avait un temps de travail de base de 35 heures et que des jours de repos qui lui ont été octroyés par le jeu de la modalité 2 viennent en déduction des heures supplémentaires effectivement réalisées.
Il reste cependant la nécessité de vérifier que le salaire de base correspondant à 151,67 heures mensuelles a bien été payé en respectant la grille de salaire de la convention collective.
Or, ce n’est bien souvent pas le cas.
Cela implique donc un rappel de salaire de base et un rappel de salaire sur les heures supplémentaires qui auraient donc été calculées une base de salaire erronée.
Bref, voilà de quoi nous donner mal à la tête lorsque nous allons reprendre tous ces calculs …
Perte des droits au chômage, quand le législateur s’entête et n’entend pas les professionnels, il ne reste qu’ à espérer que les sages du Conseil Constitutionnel sauront être pragmatiques.
Le 18 novembre 2022, la loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi a été déférée au Conseil constitutionnel.
On attend donc avec impatience que ce dernier se prononce sur la constitutionnalité des 4 mesures phares contestables qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre.
-l’instauration d’une présomption de démission en cas d’abandon de poste, entraînant ainsi la privation du bénéfice de l’assurance chômage.
-l’habilitation du Gouvernement à déterminer par décret les règles de l’assurance chômage jusqu’au 31 décembre 2023 au plus tard, et la possibilité d’introduire le principe de « contracyclicité » dans le régime d’assurance chômage.
-les dispositions entraînant la perte du bénéfice de l’assurance chômage en cas de refus réitéré d’un CDI à l’issue d’un CDD ou d’une mission d’intérim pour le même emploi ou un emploi similaire
-la réforme du dispositif de validation des acquis de l’expérience (VAE)
En principe, le Conseil Constitutionnel doit se prononcer sous un délai d’un mois.
Un arrêt de la Cour de Cassation du 23 novembre 2022 me permet de rappeler que l’égalité femmes – hommes n’est pas uniquement d’octroyer aux femmes les mêmes droits que les hommes.
Les hommes peuvent aussi être victimes de discrimination eu égard à leur sexe.
Dans l’affaire soumis à la Cour de Cassation, c’était précisément ce que soulevait un steward d’une compagnie aérienne qui portait des tresses africaines nouées en chignon.
Ce steward avait été licencié pour non-respect des règles applicables au personnel navigant quant à leur coiffure.
Cette compagnie imposait en effet des consignes relatives à la coiffure qui variaient selon le sexe :
pour les hommes : « Les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur de la chemise. » ;
pour les femmes : « Les tresses africaines sont autorisées à condition d’être retenues en chignon. »
La Cour de Cassation est très claire : il n’est pas possible d’interdire aux hommes une coiffure autorisée aux femmes.
La différence de traitement qui consiste à autoriser les femmes à porter des tresses africaines attachées en chignon mais à l’interdire aux hommes est uniquement fondée sur le sexe du salarié : elle n’est justifiée par aucune exigence essentielle et déterminante propre à l’exercice de la profession de steward.
C’est une excellente décision qu’il faut saluer !
Il est assez intéressant cependant de noter que la Cour d’appel et le Conseil de prud’hommes avaient jugé au contraire qu’imposer une différence de coiffure entre homme et femme pouvait être justifiée notamment par des « codes en usage » …(sic).
Fort heureusement que la Haute juridiction rappelle que les codes sociaux ne sont pas des critères objectifs qui justifient une différence de traitement entre les femmes et les hommes.
Néanmoins, je m’interroge sur ce que les juges qualifient de « codes en usage » à l’ère des questions de genre.
Pour des questions de simplicité et
d’efficacité, certains salariés synchronisent leur agenda électronique personnel
sur leur ordinateur professionnel.
Cette pratique est une mauvaise habitude.
En effet, les dossiers et fichiers créés par le salarié grâce à l’outil
informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son
travail sont présumés avoir un caractère professionnel.
Cela
signifie que l’employeur peut y avoir accès hors de sa présence et peut
utiliser ces éléments pour démontrer une faute du salarié.
Ainsi
l’agenda électronique de la salariée, disponible sur son ordinateur
professionnel, peut parfaitement être consulté par l’employeur et il peut en
extraire les copies qu’il souhaite sans se voir opposer une violation du secret
des correspondance privées (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9
novembre 2022, 20-18.922, Inédit).
Il en
résulte que la production en justice de tels fichiers ne constitue pas un
procédé déloyal, au sens des articles 9 du Code civil et 6, paragraphe 1, de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
rendant irrecevable ce mode de preuve.
Comment
faire pour éviter cet écueil ?
Le salarié
doit identifier comme étant personnels tous les dossiers, fichiers et agenda
créés par lui et qui sont accessibles dans l’outil informatique de l’employeur.
La
mutation du salarié intragroupe : un transfert juridique délicat pour les
employeurs comme pour les salariés.
Faire partie d’une société qui appartient à un groupe de sociétés facilite la mobilité du salarié entre les entreprises du groupe.
En
pratique, le salarié est transféré d’une entité juridique à une autre.
Or,
ce genre de transfert n’est pas prévu par le code du travail sauf en cas de
transfert d’une entité économique autonome.
Comment
faire pour rompre le lien avec le premier employeur et matérialiser le lien
avec le second ?
La
pratique a développé une solution validée par la Cour de Cassation depuis
2016 :
Il
faut conclure d’une convention tripartite entre le salarié et à ses deux
employeurs successifs pour organiser la poursuite du contrat de travail.
Attention
cependant, cette convention est un acte écrit signé des trois parties (le salarié
et les deux employeurs successifs).
Sans
cette convention, le premier employeur ne peut pas s’affranchir d’une rupture
au sens du code du travail soit par rupture conventionnelle soit par
licenciement.
La
mutation intragroupe ne présume pas de l’existence d’une convention tripartite
comme l’indique un arrêt de la Cour de Cassation du 26 octobre dernier (Cour
de Cassation chambre sociale. 26 octobre 2022,
n° 21-10495 FSB).
Si la convention n’est pas faite correctement, le premier employeur
risque de se voir reprocher un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes
les conséquences indemnitaires.
De
plus, le contenu de cette convention est important car il permet la poursuite du contrat de travail dans une autre société du groupe et le maintien de l’ancienneté, de la qualification et du
salaire, des droits acquis au titre des congés payés et de régler le sort de
l’éventuelle clause de non-concurrence.
En
revanche, le salarié ne pourra pas se prévaloir à l’égard du nouvel employeur ni
des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail ni même opposer
l’ensemble des obligations qui pesaient sur son précédent employeur, à défaut
de mention spécifique dans la convention (Cour de Cassation chambre sociale. 23 mars 2022, n° 20-21518 FSB).
Avocat à la Cour D'appel de Paris – droit du travail et droit des affaires – Expert SYNTEC- BETIC-CINOV